Tonton Antoine, raconte nous encore une histoire sur tes vieux fossiles à Roland Garros s’il te plait, que l’on s’amuse un peu… Il parait que dans les années 70, les types jouaient en pantalons longs, buvaient des gin tonic entre les jeux et servaient à la cuillère, comme Chang, c’est vrai tout cela, Tonton Antoine ? Pas tout à fait les petits, ça, c’était avant, du temps des Mousquetaires… Mais c’est qui les Mousquetaires, Tonton Antoine ?
Eh bien, ce sont les quatre types que vous voyez là, en statue sur la place qui porte leur nom, juste à côté du Chatrier… Mais c’est quoi, le Chatrier, Tonton Antoine ? La ferme, toi ! Sinon, je n’aurai jamais le temps de vous raconter mon histoire. Allez, allons faire un tour, je vais vous montrer, pour l’instant, il n’y a personne ou presque : on joue les qualifs…
Vous voyez les grilles, là, juste derrière le court numéro un avec toutes ces piques pour empêcher les vauriens de les escalader ? Eh bien, avant que le court numéro un ne soit construit en 1980, il y avait deux courts annexes et c’est là que j’ai vu en 77 mon premier match à Roland : un premier tour où Panatta, qui avait gagné l’année d’avant en battant Borg en quarts de finale jouait contre un joueur français qui s’appelait Patrice Beust qui ne valait pas grand-chose mais qui lui a pris un set. On était vingt à les voir jouer. Ils avaient programmé le tenant du titre sur un court annexe, Tonton Antoine ? J’y crois pas ! Eh oui mon petit, à l’époque, ce n’est pas parce qu’on était tenant du titre que l’on jouait automatiquement sur le Central, d’ailleurs il n’y en avait qu’un parce que le Suzanne Lenglen a été construit bien après, en 1994… Dis Tonton, Maman m’a dit qu’à l’époque tu escaladais les grilles avec un de tes copains, et que tu revendais des places au noir dans l’allée plus loin là bas, c’est vrai tout çà ? Ne crois pas tout ce que dit ta mère ! Il y a beaucoup d’exagération. Tu sais ils sont tous jaloux dans la famille parce que je viens ici tous les ans et que je ne les invite jamais. Ils n’y comprennent rien, alors ce n’est pas la peine…Mais laisse moi continuer…
Tu vois cette plaque ? Eh bien il y a tous les vainqueurs du tournoi depuis le début : cela commence par un maudit Roastbeef, un type qui s’appelait Briggs en 1891. Mais dis donc, il y avait plein de français qui gagnaient Roland Garros au début, Tonton Antoine ? Eh oui, mais jusqu’en 1925, seuls les français et les étrangers qui habitaient en France avaient le droit de jouer, alors forcément il y avait pas mal de français mais même après comme tu le vois il y en avait encore plein : regarde les Mousquetaires : Borotra a gagné 2 fois, Lacoste 3 fois et Cochet 4 fois. Cochet est le joueur qui a gagné le plus de titre jusqu’à Borg. Lacoste, c’est le type qui a inventé les chemises, Tonton Antoine ? Oui, c’est comme cela qu’il a gagné de l’argent parce qu’à l’époque, les joueurs ne gagnaient pas un rond les enfants. Ah bon, mais pourquoi ils jouaient alors ? Pour le sport, mon petit ! Elles sont ringardes les chemises Lacoste, moi, je préfère les Nike de Nadal ! Eh bien, je ne t’en achèterai pas, mais tais-toi donc ou je vais m’énerver !
Mais dis moi, Tonton Antoine, il ne devait pas y avoir grand monde qui venait à l’époque, non ? C’est sûr, il y avait beaucoup moins de monde qu’aujourd’hui. On pouvait acheter des billets le jour même en première semaine et même parfois au début de la seconde sans problème et on n’était pas emmerdé par tous ces vendeurs de fringues. C’est avec Borg que cela a commencé à se gâter ici. Il y avait moins de 100 000 personnes avant qu’il ne pointe sa fraise et 220 000 en 1980, 429 000 l’année dernière. C’est devenu un enfer pas possible, c’est pour cela que je vous emmène aujourd’hui où c’est encore tranquille. Et comme je vous le disais, on pouvait même voir les meilleurs sur les courts annexes…
Et Borg, il était vraiment bon ? Aussi bon que Nadal ? Oui, mais laisse moi commencer par le début, ou plutôt par les premiers matchs que j’ai vu à la télé. En 72, il y a un français qui s’appelait Georges Goven qui est arrivé en demie finale et qui a perdu de peu contre un Espagnol qui s’appelait Gimeno et deux jours plus tard, Gimeno gagnait la finale contre un autre Français qui s’appelait Patrick Proisy. Gimeno détient un record : c’est le plus vieux vainqueur : il avait 34 ans et 10 mois. Et ils n’ont pas été fichus de le battre ce vieux croulant, Tonton Antoine ? …Eh bien non… Mais Gimeno était très bon et il avait gagné le tournoi junior en 1955… Tu te fous de nous Tonton Antoine, là ! Non, je vous jure, c’est vrai !
Et l’année suivante, c’est Nastase qui a gagné. C’était un génie les petits ! Il a gagné le tournoi sans perdre un set. C’est le premier à l’avoir fait et après lui, il n’y a que Borg et Nadal qui l’ont fait, deux fois chacun. Ouais, mais qu’est ce qu’il avait de génial, Ilie, Tonton Antoine ? Eh bien le type savait tout faire y compris des amorties rétro qui repassaient le filet avant que l’autre puisse la toucher si jamais il arrivait à courir assez vite pour l’avoir. Non, tu te fous encore de nous là ! Non, je vous jure, c’est vrai, je l’ai vu faire cela dans un match en 77 contre un des frères Mayer. C’est qui ça, les frères Mayer, Tonton Antoine ? Eh bien c’est comme les Bryan, sauf que c’est pas des jumeaux et qu’ils ne jouaient pas en double mais en simple chacun de leur côté mais ils étaient du même niveau. Il y en a un qui a été 4ème et l’autre 7ème. Un autre truc que Nastase a fait au frangin Mayer ce jour là, c’était une amortie que l’autre a réussi à renvoyer alors Nastase lui a fait un lob et Mayer a couru comme un dératé pour la renvoyer alors qu’il était dans les bâches BNP, il a réussi à la renvoyer mollement mais Nastase était au filet et a juste levé sa raquette pour que la balle la frappe et retombe à deux à l’heure trente centimètres derrière le filet tandis que de l’autre main il lui faisait un petit signe en rigolant pour lui dire de rappliquer. Evidemment le frangin Mayer n’a pas pu bouger et le public a hurlé de rire ! Non, sans déc Tonton Antoine ! Mais le frangin devait être fumasse que l’autre se foute de sa gueule à ce point là, non ? Oui mais Ilie s’en foutait et il lui a montré son cul ! Son cul ? Comment cela ? Oui il lui a tourné le dos et a baissé son short. Et il ne s’est pas fait virer du tournoi ? Non, pas cette fois. D’ailleurs, il n’a même pas eu d’amende ce jour là parce que l’arbitre a dit qu’il ne l’avait pas vu. D’ailleurs, à l’époque, c’était des amateurs et ils étaient souvent bigleux. Enfin, il a fait bien pire Ilie, il était fou, c’était ça son problème. Un numéro un mondial fou, le premier au classement de l’ATP si tu y jettes un coup d’œil. Du coup, il ne l’est pas resté très longtemps et n’a gagné qu’une fois à Roland Garros et une fois à l’US Open l’année d’avant et il a paumé en finale de Wimbledon contre Borg en 76 pour sa deuxième finale là bas. C’était la première des cinq victoires consécutives de Borg à Wimbledon…
Cinq de suite ? Là, c’est du sérieux Tonton Antoine. Personne n’a fait mieux, non ? Même pas Federer ? Exact mon garçon, même pas Federer, ni Sampras qui en a pourtant gagné sept. Bon alors, raconte Borg à Roland Garros, Tonton Antoine. C’était comment du temps de Borg ? Ok ! Alors voilà, Borg s’est pointé pour la première fois en 73 et il est allé en quarts alors qu’il fêtait son 17ème anniversaire comme Nadal fête son anniversaire à Roland tous les ans. Mais bon, il n’était pas encore au point et il a paumé contre Panatta. L’année d’après, à 18 ans donc, il gagne pour la première fois en battant Orantès en finale en remontant de deux sets à zéro et en lui collant trois fois 6-1 dans les trois derniers sets. C’était le 3ème à avoir remonté de deux sets à zéro en finale. Pourtant, tout le monde disait qu’Orantès allait gagner parce que Borg avait joué une très longue demie finale contre un affreux qui s’appelait Solomon et qui renvoyait toutes ses balles en cloche.
C’est à partir de là que cela s’est gâté à Roland parce que le type attirait les foules et surtout les filles comme des mouches. Il y en avait des centaines qui le suivant tout le temps en hurlant après lui et qui voulait absolument le toucher comme si c’était Mick Jagger ou Jésus Christ. D’ailleurs il ressemblait à Jésus Christ mais toutes les filles voulaient coucher avec lui. Voilà, le gars était devenu un dieu vivant. Il ne disait pourtant jamais un mot ni sur le court, ni en dehors, ne s’énervait jamais, ne montrait absolument rien. On l’appelait IceBorg…Et il gagnait tout le temps : l’année suivante, il gagne en battant Vilas, son souffre douleur préféré. En 76, énorme surprise, il se fait battre en quarts par Panatta à nouveau, lequel devait gagner le tournoi ensuite, un peu comme si Soderling avait réussi son coup contre Federer après avoir battu Nadal en 2009. L’année d’après, il ne vient même pas… Non ? Il ne vient même pas alors qu’il était presque sûr de gagner le tournoi, Tonton Antoine ? C’est dingue ça ? Eh bien oui, il préférait disputer des tournois aux Etats-Unis qui lui rapportaient beaucoup plus. Mais dis moi, Tonton Antoine, c’est que Roland Garros, cela ne valait pas grand-chose alors si Borg ne venait même pas ? Eh bien oui, c’est vrai, jusqu’en 79, Connors ne venait pas non plus et donc jusqu’à cette époque là, les meilleurs, souvent, ne venaient pas parce que tous les autres tournois du GC jusqu’en 74 se jouaient sur herbe comme à Wimbledon et que plein de très bons joueurs ne venaient pas… Mais c’était un tournoi de daube, alors, Tonton Antoine ? Boucle-la et laisse moi terminer !
En 77, pendant que Borg n’était pas là, Vilas en profite pour gagner le tournoi en écrasant tout le monde, et surtout le pauvre Gottfried en lui collant deux bulles en finale. Pourtant Gottfried avait battu Ilie qui était encore TS 1 en quarts au cours du plus beau match du tournoi. Mais en 78, Borg revient et flanque des dérouillées pas possibles à tout le monde et surtout à ce pauvre Vilas en finale en lui laissant 5 jeux. Au total il gagne sans perdre un set et ne laisse que 32 jeux à se adversaires et ça, c’est un record que Nadal n’est pas prêt de battre puisque comme tu le sais, même en 2008, il en a quand même paumé 41. Il n’y a que Tanner qui a réussi à le pousser au tie break dans un set cette année là. Tanner c’était le Isner d’aujourd’hui : une brute au service. C’est à partir de ce moment là que tout le monde a compris que Borg, eh bien plus personne ne le battrait plus jamais à Roland Garros et il y a même eu un joueur qui a parié qu’il en gagnerait 10. Et pour la première fois, il gagne Wimbledon dans la foulée, son troisième titre consécutif là bas…L’année suivante, rebelote, il gagne ici en battant Pecci en finale, lequel avait battu Connors en demie.
C’était la première fois ou tout le monde était vraiment là et la première fois aussi que l’on voyait Connors jouer en France. Il a tout de suite conquis le public, lui, avec son jeu, et sa femme pour d’autres raisons. Pourquoi sa femme, tonton Antoine ? Ne le répète pas à ta mère, mais c’est parce que c’était une ex-playmate de PlayBoy et que les patrons de ce magnifique magazine avaient eu la bonne idée de rééditer ses photos dans le numéro qui est paru en France quelques jours avant que Connors ne mette les pieds à Paris…79, c’est le début du Roland Garros moderne si l’on veut et il commence à y avoir beaucoup plus de public. Et Borg gagne encore à Wimbledon derrière. En 80, rebelote, il gagne à nouveau sans perdre un set, en perdant 37 jeux cette fois et il gagne encore à Wimbledon derrière, son cinquième titre. A cette époque là, Borg ne se fatiguait même pas à venir jouer sur terre battue avant Roland Garros comme Nadal. Il faisait juste un tournoi avant : Monte Carlo ou un autre, il le gagnait et puis, un ou deux mois après, il se pointait à Roland Garros et écrasait tout le monde sans même transpirer. L’année d’après, en 81, là il se pointe pour la dernière fois et gagne encore mais un peu plus difficilement puisque pour la première fois depuis 1974 il a besoin de 5 sets pour venir à bout en finale d’un horrible tchèque qui s’appelait Lendl. Enfin, cela ne l’a pas empêché de d’établir un record qui tient toujours puisque de 79 à 81, il a gagné 41 sets consécutifs. Un mois après, Mc Enroe l’a enfin battu à Wimbledon, puis aussi à l’US Open, et après Borg en a eu marre et a arrêté le tennis à 25 ans…Voilà pourquoi il n’en a gagné que six et pas dix…L’année d’après, c’est une espèce de clone de Borg, Wilander qui a gagné et on n’a pas gagné au change. Il était un peu plus jeune que Borg en 74 et a lui aussi battu Vilas en finale. C’est cette année là que sur un court annexe, là, juste à côté, que j’ai vu Ilie jouer pour la dernière fois à Roland ou il a paumé 9-7 au cinquième vers dix heures du soir contre un petit jeune qui s’appelait Forget. C’était bien triste mais on n’y pouvait rien : Ilie allait avoir 36 piges et Forget en avait 17….
Mais dis moi, Tonton Antoine, cela devait être super de voir Borg jouer et écraser tout le monde comme Nadal aujourd’hui, non ? Malheureux, c’était affreux ! Non seulement il n’y avait aucun suspense, mais en plus Borg se contentait de renvoyer la balle une fois de plus que l’autre jusqu’à ce qu’il fasse la faute, sans jamais rien faire. Les seules fois ou il faisait quelque chose, c’est quand l’autre en avait marre, avait compris qu’il ne pouvait pas gagner l’échange et montait au filet. Et là, Borg le plantait neuf fois sur dix avec un passing démoniaque. C’était bien pire que Nadal aujourd’hui… Comment peux tu oser dire cela, Tonton Antoine, Rafa, c’est le top ! Il l’aurait écrasé ton Borg ! Eh bien cela, je n’en suis pas sûr du tout mon petit et je soutiendrais même le contraire ! Tu n’es qu’un vieux schnock qui défend des fossiles ! Ces types étaient nuls, il suffit de voir sur youtube, cela jouait à deux à l’heure ! Mais vas-tu te taire petit ignare !
A cette époque là, avec les filles, c’était pareil : en 74, Chris Evert gagne son premier Roland Garros et elle en a gagné 7, elle. Elle jouait comme Borg : revers à deux mains et imbattable sur terre battue pendant très longtemps. On n’était pas gâté mais au moins, il y avait Navratilova qui arrivait à gagner de temps en temps. Non, les enfants, c’était une sale époque en réalité, c’est avant que c’était bien : quand il y avait Rosewall, Laver et les autres Australiens. En fait, le tennis décline continuellement depuis les années 60 au moins. Il n’y a plus un seul type capable de faire une volée correcte à part Llodra…
T’es vraiment un vieux réac, Tonton Antoine ! Bon, ça suffit, on rentre… !
Tags: Histoire, Nastase, Roland Garros
Ah oui, Merci Antoine pour ce texte. Delicieux..
Moi j’avais vu Nastase a RG un peu apres toi. En 84 en double avec Clerc, je crois, sur le central. C’etait a mourir de rire : Nastase et Clerc se sont amuses tout le match a jouer des balle hautes pour faire smasher leurs adversaires, et remettre leur smash 3, 4, 5 fois.. autant de fois qu’ils pouvaient. ET je crois qu’ils ont bien fini par gagner.