Les Monuments du tennis moderne – La tragédie grecque

By  | 4 septembre 2014 | Filed under: Histoire

Pete Sampras bat Alex Corretja – Quart de finale de l’US Open 1996
7‑6 (7/5), 5‑7, 5‑7, 6‑4, 7‑6 (9/7) (4 heures 9 minutes)

Sampras - Corretja 1Pete Sampras a-t‑il déjà été aussi héroïque que durant le long chemin de croix enduré en ce jeudi 5 septembre 1996 sur le stadium Louis-Armstrong ? Le quart de finale de l’US Open qui l’y opposa à Alex Corretja fait partie de ces morceaux de bravoure qui peuvent parfois ériger le sport en drame épique, en gravant les exploits de ses acteurs dans le marbre de la légende la plus noble. « Beaucoup de gens ont vu aujourd’hui des choses qu’ils ne reverront jamais dans leur vie », commentera l’entraîneur de Pete, Paul Annacone, après un match où le dépassement de soi atteignit des magnitudes rarement entrevues sur l’échelle de Richter du courage.

Il est 19 h 45, et la nuit est déjà tombée sur Flushing Meadows. La souffrance du champion américain devient pourtant de plus en plus visible. Ses forces l’abandonnent. Depuis le quatrième set, Sampras s’accroche à son service comme à une bouée de sauvetage. Ses jambes ne le portent presque plus. Le souffle est plus court, les gestes plus économes, la démarche plus hésitante. Le tenant du titre se rapproche dangereusement de la panne sèche. Voilà près de quatre heures, sous la chaleur moite de cette fin d’après-midi new-yorkais, qu’il lutte contre un renvoyeur ibérique en état de grâce. Du haut de ses 22 ans et de son modeste 31e rang mondial, Alex Corretja démontre un coeur énorme, déploie un tennis que personne n’aurait pu croire aussi brillant. Lui, le spécialiste de terre battue, s’était déjà illustré un an plus tôt en ces lieux en menant deux sets à un face à un épouvantail nommé Andre Agassi. Mais il ne s’agissait alors que d’un deuxième tour. Qui aurait pu imaginer que son jeu abrasif et que ses balles gorgées de lift réussiraient aujourd’hui à sortir le patron du circuit de sa filière favorite ? Qu’ils l’embarqueraient sur les pentes glissantes d’un marathon aussi acharné ? Que son service rivaliserait ainsi avec celui de Pistol Pete, au point de terminer la partie avec exactement le même nombre d’aces au compteur (25) ?

Les deux hommes s’engagent dans le fatidique tie-break du cinquième set, cette épreuve impitoyable qui est à la balle jaune ce que la séance de tirs au but est au ballon rond, avec cependant une différence de taille : elle se substitue aux prolongations au lieu de leur succéder. De tous les tournois du Grand Chelem, l’US Open est le seul à recourir à un tel couperet pour mettre fin à ces matchs interminables. Ce soir, vu son état physique, Sampras sait déjà que cette terrible loterie est devenue son unique chance de salut. Malgré sa lucidité déclinante, il a en même temps conscience d’y jouer très gros, à commencer par sa dernière occasion de soulever un trophée majeur au cours de cette saison, mais aussi sa place sur le trône de l’ATP, de plus en plus menacée par Michael Chang.

Breaké en début de rencontre, l’Américain serait-il d’ailleurs arrivé jusque-là sans ces superbes volées décochées dans le dixième jeu du premier acte pour sauver les deux balles de set adverses ? Il parut ensuite reprendre la main après le gain du tie-break, d’autant qu’il boucla cette manche initiale sur une impressionnante série de 22 points remportés d’affilée sur son service. Mais il n’en fut rien. Le coureur de fond espagnol accéléra de plus belle, s’ingéniant à régler à la fois l’allure et la distance à parcourir. Son coup droit décroisé tissa une véritable toile d’araignée dans laquelle le revers de Sampras finit peu à peu par s’empêtrer. Parfois exceptionnel sur ses passing-shots en bout de course, Corretja réalisa un break décisif dans le douzième jeu du deuxième set. Il doubla la mise au même moment lors de la manche suivante, bien aidé par deux (rarissimes) erreurs en smash du numéro 1 mondial. Au cours du quatrième acte, tandis que les premiers signes de fatigue ont commencé à apparaître, l’Américain n’eut d’autre choix que de revenir à ses fondamentaux. Il écourta alors les échanges, dans l’espoir d’alléger son fardeau. Plus qu’une question tactique, le credo n’allait pas tarder à devenir une affaire de survie. En capitalisant sur un avantage précoce, creusé dès le troisième jeu, Sampras parvint ainsi à égaliser à deux sets partout.

Malgré un corps au bord de la rupture, malgré la fougue d’un adversaire si coriace, il s’est battu, avec l’énergie du désespoir, pour ne pas sombrer durant la cinquième manche. Mais c’est lesté d’un poids insoutenable qu’il paraît à présent aborder ce dernier jeu décisif. Le dos voûté entre chaque point, il affiche cette posture de supplicié qu’il a tant de fois arborée dans un passé récent. Ce soir, la situation va toutefois prendre un tour autrement plus préoccupant.

Sampras - CorretjaLe score est de 1‑1 dans le tie-break, et le voilà désormais près des bâches, à déambuler comme une âme en peine. Sa raquette lui sert de point d’appui, telle la canne d’un vieillard exténué. Soudain, l’Américain se penche en avant et vomit. L’instant est poignant. Dans le stade, aucun spectateur ne semble en croire ses yeux. D’un seul coup, le temple du bruit et de la fureur se pare d’une solennité exceptionnelle. Les secondes s’égrènent, jusqu’à ce que l’arbitre Cecil Hollins inflige à Sampras un cruel avertissement pour dépassement de temps. La foule hurle sa désapprobation, puis redonne de la voix pour soutenir son héros moribond. Sampras titube et repart au combat. Il est littéralement plié en deux avant de servir ; pourtant, il refuse de rompre. Il donne maintes fois l’impression de s’écrouler, mais reste encore et toujours au contact. En face, son rival ne sait plus à quel saint se vouer, d’autant que le meilleur joueur du monde alterne désormais les toiles les plus grossières et les prouesses les plus incroyables.

A quatre points partout, l’Américain place une accélération de coup droit croisée foudroyante, qui fait se dresser le stade comme un seul homme. Corretja est à terre. Sampras, lui, est à l’agonie. Dans la nuit noire de Flushing Meadows, son visage se teinte d’une blancheur cadavérique. Peu après, il trouve la force de claquer une volée haute de coup droit pour se procurer une balle de match inespérée. 6‑5. Le scénario paraît tout droit sorti d’un film de science-fiction. Etrange et pathétique spectacle que celui de ce numéro 1 mondial en perdition, à un point de la victoire, mais une nouvelle fois contraint de s’arrimer à son outil de travail pour rester debout. Insensible au vent d’hystérie qui balaie le central, Corretja se concentre sur son propre service. Son coup droit tient le choc et pousse à la faute cette ombre chancelante qui lui fait face. 6‑6. La clameur du public accompagne encore l’Américain durant le second changement de côté. Mais l’Espagnol joue les trouble-fête en lâchant un imparable coup droit gagnant décroisé. A son tour, il dispose à présent d’une balle de match. 7‑6. Derrière son service, Sampras prend possession du filet et exécute une périlleuse volée basse. Corretja fond sur la balle comme un aigle sur sa proie. Le triomphe est à portée de main, au bout de son passing-shot de coup droit. D’instinct, il opte pour une trajectoire croisée et plongeante. Alors, le mort-vivant se détend et, du bout de la raquette, réussit une volée de coup droit gagnante impensable, en pleine extension. Les spectateurs sont en transe. Plus tard, Corretja confiera : « Si je joue le long de la ligne, je gagne peut-être le match. »

Avec son air dévasté et sa respiration haletante, Pete le miraculé n’en poursuit pas moins sa descente aux enfers. Il jette un regard angoissé vers le ciel. Cette fois, au moment d’armer sa mise en jeu, l’Américain paraît incapable de se redresser. En mobilisant sa dernière énergie, il délivre une première balle, trop longue, à 125 km/h. Presque une feuille morte. Mais Pistol Pete ajuste le tir sur la seconde et expédie… un ace court croisé ! Flushing Meadows est en feu. « C’est sans doute le point que je n’oublierai jamais », avouera Sampras au soir de la finale. 8‑7. Les traits déformés par la douleur, le maître des drames vient de se donner une deuxième chance de conclure. De l’autre côté du filet, la crainte et l’émotion envahissent son formidable adversaire. Le premier service de l’Espagnol est hors limites. Sa deuxième balle subit le même sort… Dur Alex sed lex. Terrassé par ce dénouement ô combien cruel, Corretja s’agenouille sur le Decoturf, les jambes brutalement coupées. Au bout de ce match dantesque, un homme a donc bel et bien fini par s’effondrer sur le central de Flushing Meadows.

EPSON scanner ImageLes deux galériens tombent bientôt dans les bras l’un de l’autre, dans une étreinte emplie d’un profond respect. Sampras ne s’attarde guère sur ce court des miracles, abandonnant le malheureux Corretja à son désespoir, le visage enfoui sous sa serviette. Il est tout juste en état d’offrir un geste de victoire fugace à cette foule qui l’a soutenu avec tant de ferveur. Atteint de déshydratation, le champion américain devra par la suite être placé sous perfusion. Ce succès d’outre-tombe, il le dédiera spontanément à Tim Gullikson, qui aurait dû fêter ses 45 ans le jour de la finale de cette édition 1996. Pete se rétablira suffisamment vite pour être présent à ce rendez-vous et y faire respecter son rang aux dépens de Michael Chang. Plus que jamais, le Californien se sera montré plus fort que la souffrance. Comme s’il avait puisé dans ce deuil si éprouvant une envie de survivre encore décuplée.

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"Les monuments du tennis moderne - champions et matchs de légende" - Marc Gdalia, Guillaume Duhamel et Guillaume Willecoq - Éditions Sutton

http://livre.fnac.com/a7085832/Marc-Gdalia-Les-monuments-du-tennis-moderne

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546 Responses to Les Monuments du tennis moderne – La tragédie grecque

  1. William 5 septembre 2014 at 02:12

    2h du mat j’ai des frissons, mes cigarettes sont toutes fumées dans l’cendrier… Merde ça me rappelle quelque chose… S’cusez, c’est la fatigue.

    • Kaelin 5 septembre 2014 at 02:19

      courage ma poule!

  2. William 5 septembre 2014 at 02:19

    Une montée sur un revers slicé, deux services gagnants et un ace : Federer débute bien.

  3. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:23

    Waouh ! J’ai failli pas me réveiller. J’étais en train de rêver d’une finale Nishikori/Monfils

  4. Kaelin 5 septembre 2014 at 02:25

    bon j’ai bricolé une façon de voir le match en ayant internet en tirant un peu sur mon cable et en tournant ma télé à fond pour voir le match à 4 metres de l’ecran (belle invention les ecrans geants HD) tout en ayant mon ordi sur les genoux au loin avec mon fil!

  5. Kaelin 5 septembre 2014 at 02:27

    Monfils a eu chaud devant un Fed très offensif en retour mais valide finalement son service, 1-1

  6. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:29

    Pour l’instant la monf est plutôt amorphe en retour de service

  7. William 5 septembre 2014 at 02:29

    Monfils sert et frappe très fort. Il a écarté deux balles de break d’entrée, bien aidé par Roger qui a sorti un revers anodin.

    Le vent a l’air de souffler assez fort.

  8. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:31

    Il y a un de ces bordel dans les tribunes !!

  9. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:34

    Enooooorme point de Gael !!

  10. Kaelin 5 septembre 2014 at 02:34

    incroyablissime passing de volée de fond de court réflexe de Monfils surréaliste hahahaha

  11. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:34

    suivi d’un énorme point de gael !!!!

  12. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:35

    et 2 balles de break

  13. Kaelin 5 septembre 2014 at 02:36

    BB pour Monfils ! la 2eme

  14. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:36

    bien sauvées par Roger

  15. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:38

    Ce cinquième jeu élève déjà le match dans des sphères très prometteuses.

  16. William 5 septembre 2014 at 02:40

    Super Roger, bravo, pas une première dans ce jeu et break Monfils.

  17. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:40

    Et break de Gael qui est plus que rentré dans le match maintenant. Roger commence à forcer un peu en coup droit et ne monte plus du tout au filet.

  18. Skvorecky 5 septembre 2014 at 02:41

    Ne me demandez pas comment ça se fait ni pourquoi, mais je suis là!

    • Kaelin 5 septembre 2014 at 02:43

      yeaah!

  19. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:44

    Putain, ça joue au tennis là quand même. Et Gael confirme son break. 4/2

  20. Kaelin 5 septembre 2014 at 02:46

    Monfils monstrueux en ce début de match

  21. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:46

    Ca y est Roger repart au filet et tous les points sont magnifiques. Et c’est maintenant Gael qui monte et conclue magnifiquement à son tour.

  22. John 5 septembre 2014 at 02:47

    Eh merde, je le sens déjà très très mal, ce match.

    • JoAkim 5 septembre 2014 at 02:52

      J’ose espérer que vous badinez papa ?
      C’est un début de match qui promet énormément au contraire.

  23. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:49

    Roger regagne son service en montant au filet quasiment sur chaque point. Pourvu qu’il continue comme ça car le match n’en est que plus spectaculaire. Gael est quand à lui au taquet de chez taquet.

    • Kaelin 5 septembre 2014 at 03:01

      merci Gilou?

  24. Skvorecky 5 septembre 2014 at 02:51

    Je voulais écrire un long post avant le match expliquant pourquoi je la sentais pas bien… mais maintenant que Roger s’est fait breaker, ça passerait pour opportuniste.

    Attention, théorie à la con:

    Il y a de fortes chances, malgré le tableau, que Federer ne soit pas en finale. Je ne sais pas s’il perdra ce soir ou samedi, mais il n’a aucune envie de se retaper Djokovic en finale, ça c’est certain. Et il fera en sorte que ça ne se produise pas.

    Le meilleur scénario serait d’être en demi-finale et de la jouer après celle du haut de tableau. Et ainsi disposer de toute l’information nécessaire pour « faire son choix ».

    Quand on repense à la défaite invraisemblable face à Robredo l’an dernier, on ne peut s’empêcher de penser que Federer a perdu ce match afin d’éviter de se prendre une tôle en quarts contre un Nadal en feu.

    A l’heure actuelle, la situation désagréable serait une nouvelle défaite amère en finale. Si Djokovic est injouable, mieux vaut laisser un autre se faire trucider.

    • JoAkim 5 septembre 2014 at 02:55

      Si il bat ce monfils là assez facilement, ça m’étonnerait beaucoup qu’il n’aille pas défier Novak le cloaque.

  25. William 5 septembre 2014 at 02:56

    C’est quand même pas une super entame de Roger, faut pas exagérer… Monfils est solide, appliqué, balance des bonnes patates mais tous ses jeux de services sont accrochés…

  26. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:57

    En attendant Gael sert pour le set…

  27. William 5 septembre 2014 at 02:58

    Non mais regardez moi cette suffisance : Monfils joue son amortie, pense que Roger ne l’aura pas et s’arrête presque de jouer. Heureusement pour lui que Federer rate sa volée.

  28. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:58

    2 balles de set.

  29. JoAkim 5 septembre 2014 at 02:59

    Double faute sur la première

  30. William 5 septembre 2014 at 03:00

    Et je me suis relevé pour voir ça ? Misère…

  31. JoAkim 5 septembre 2014 at 03:01

    Bon ben voila, 1er set Monfils. La fin du set a été plus anecdotique. Roger a l’air d’être un peu sorti du match. Voyons si Gael va garder sa concentration pour continuer.

  32. William 5 septembre 2014 at 03:04

    Déjà trois fautes en coup droit ! Putain mais c’est pas possible !

  33. Skvorecky 5 septembre 2014 at 03:06

    Et quelle galère, ce premier jeu du deuxième set! 3 fautes directes sur des balles courtes, une frappe qui devrait être décisive jouée sur Monfils (qui ne réussit pas son passing).

    Une nouvelle faute au deuxième coup de raquette à l’instant.

    Ça ne sent pas bon cette affaire.

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