Crépuscule de nos plus belles promesses

By  | 17 août 2010 | Filed under: Insolite

Au sujet du talent et de ce qui peut en être fait… Mercredi 25 août, sur le « Arthur Ashe Stadium », se joue le pre­mi­er quart de fin­ale de l’US Open 2009. Pour cause de tragédie à venir, l’air est électrique. Safin, re­venu à son meil­leur niveau, joue con­tre Blake, 6e joueur mon­di­al. Sur une balle de match con­tre lui et alors qu’il est débordé par un sur­puis­sant coup droit décroisé de l’américain, il lâche un re­v­ers long de ligne monument­al qui lais­se son ad­versaire à trois mètres de la balle. In­ter­loqué. Le stade ex­plose. Dépit, ad­mira­tion, con­sci­ence décuplée de vivre un grand mo­ment de sport, tous les sens des spec­tateurs sont en feu. Car l’enjeu porte comme un souffle sans fin vers leur som­met le talent des deux héros. Fiers et humbles à la fois.

Le jeu a décidé, ce soir, de co­pi­er à la per­fec­tion l’his­toire de la vie. Oui, il y aura un mort, et peut être même une résur­rec­tion. Il y aura eu une lutte pour la sur­vie, une lutte qui fera vibr­er les âmes et puis de suite après en­ric­hira les ex­péri­ences. Car, oui, les gens vien­nent voir qu’il est pos­sible de lutt­er et par­fois de gagn­er en re­stant soi-même, et aussi qu’on peut mourir en ayant été grand, en ayant été généreux. Ils doivent le voir le plus souvent pos­sible pour ne pas l’oub­li­er. Et ce soir, c’est LE soir car il n’y a pas de cal­cul, les deux joueurs sont au bout de leur ten­nis, au paroxys­me de leurs in­spira­tions. Grisés, saoulés par leur in­stinct qui leur hurle de sur­viv­re dans ce tour­noi, par leur cœur qui ne veut plus faire qu’un avec la gigan­tesque rumeur qui dévale des gradins et par leur vœu d’être grand dans la défaite ou la vic­toire, ils of­frent les coups les plus li­bres qui soient.

Egalité, deux sets par­tout, 5 à 4 pour Blake dans le cin­quiè­me set. Blake qui man­qua de con­clure sur le ser­vice du Russe. Cinq sets de ten­nis majes­tueux, cinq sets livrés par des trom­pes la mort. Cinq sets livrés pour le pub­lic et à la postérité de ce sport.

A quel­ques pas de là, sur un court d’entraine­ment, Xavi­er Mutis­se, ex-espoir français dont l’aveug­lante lumière des débuts n’est plus qu’un faib­le halo vacil­lant, s’entraîne. Per­son­ne pour le re­gard­er, ex­cepté un curieux qui finit son hot­dog. Le match dan­tesque qui se joue à côté ne lui vole pas de spec­tateurs, il n’en aurait pas eu de toute manière, ou si peu. C’est un joueur an­onyme du clas­se­ment, en­seveli sous trop de noms tout aussi ob­scurs que le sien. Il prépare son doub­le mixte de de­main, ce sont ses de­rni­ers pas dans un Grand chelem. Douze ans de carrière, déjà… Déjà trop tard. Le temps, dis­pensé très tôt d’une am­bi­tion saine et d’une con­vic­tion de tous les jours a fui comme un chev­al fou, sans prévenir, si vite. Et ce soir, comme toujours à l’entraî­ne­ment Mutis­se délivre des coups éton­nants, des coups félins, mal­ins, par­fois veloutés et mêmes poé­tiques. Comme à la para­de face à un par­tenaire, grand gail­lard de Roumain qui pour­tant frap­pe des deux côtés et avec just­es­se, comme un sourd. Quel­le main, quel­le aisan­ce doit sûre­ment se dire l’improb­able et uni­que spec­tateur, qui les doigts plantés dans le gril­lage re­gar­de l’entraî­ne­ment de ce Français in­con­nu en hoc­hant de la tête à chaque coup in­croy­able.

Oui, il semble que ce joueur n’ait rien à en­vi­er aux deux com­bat­tants qui à cent mètres de là font par­fois mont­er la clameur si haut qu’elle co­uv­re le chant des oiseaux. Mais Mutis­se s’en moque, ou croit qu’il s’en moque. Car ces de­rni­ers temps il ne sait plus très bien. Il s’est toujours dit, peut être un brin hautain, qu’il n’avait pas be­soin de ce tumul­te pas­sion­nel, ni de récom­pens­er les gens, ni même de vaincre. Il s’était toujours su super­be joueur, c’était bien suf­fisant.

Pas be­soin de s’en­fil­er toutes ces heures ére­in­tantes de physique. Pas envie de souffrir. Seule­ment il y avait un truc qui dans sa tête était moins clair de­puis quel­que temps : pour­quoi puis­qu’il s’en était toujours foutu avait-il toujours eu si peur de mal faire, si peur de ne plus être Mutis­se le lutin en­chan­teur ? Une ques­tion qu’il s’était toujours épargné, qu’il avait toujours su con­tourn­er, désarm­er, re­venait cette fois plus entêtante, plus déter­minée: « Pour­quoi je n’ai jamais vrai­ment re­produit en match tout ce que j’ai pu faire à l’entraî­ne­ment ? »

Et là ce soir, alors que le sol­eil al­lait bientôt se co­uch­er sur les co­urts comme sur sa carrière, cette in­ter­roga­tion pesait en­core plus fort. Et ces frap­pes se faisaient soudain plus sèches. Il n’était plus très sûr de ne pas avoir eu be­soin de laiss­er éclat­er son talent au grand souffle des com­bats, dans l’arène. Il n’était plus très sûr que le talent pouvait se déclar­er comme tel en se payant le luxe de se dis­pens­er du juge­ment des matchs à pre­ss­ion, des matchs où dix mille yeux vous re­gar­dent et peuvent en­voy­er à cinq mille lan­gues des in­for­ma­tions négatives sur votre jeu et pire sur vous.

Il n’était plus sûr du tout. Et à chaque fois que la clameur mon­tait du Stadium, libérant d’énor­mes vagues d’éner­gie toujours plus gros­ses, ses frap­pes étaient moins velout­ées et plus dures. Il était ivre de ce bruit qui creusait en­core plus en lui le gouffre du temps à jamais perdu. Cette nuit, dans sa chambre d’hôtel, alors que le sol­eil se sera de­puis longtemps couché et que la télé montrera fur­tive­ment les meil­leurs points de la vic­toire de Safin, il s’avouera enfin qu’il aurait tout donné pour avoir su vogu­er sur ses vagues.

Mais si on est toujours maître de son de­stin et si on peut toujours se révolt­er, les voies que l’on trace pour vous sont très dures à quitt­er, sur­tout le temps d’une carrière, sur­tout quand on n’est qu’un môme. Et il faut be­aucoup de sac­rifices pour qu’un jour on se décide à chang­er ceux qui les tra­cent. Ses voies.

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267 Responses to Crépuscule de nos plus belles promesses

  1. Nath 21 août 2010 at 15:35

    Il y a une semaine, le top 4 était en demi-finale, là nous n’avons qu’un représentant du top 10 (classement actuel) : Fed !!? 8O
    Je n’aurais clairement pas parié dessus, mais il est vrai que l’enchaînement de ces 2 M1000 est bien compliqué, d’où les surprises à Cincy.

    Pour Soderling dont quelqu’un a un peu parlé plus haut, je ne l’enterrerais pas pour l’US Open vu ce qu’il a fait à RG après une saison de TB plutôt moyen. Mais c’est vrai qu’entretemps il s’est pris 2 bons coups sur la tête en GC…

  2. Franck-V 21 août 2010 at 15:36

    Jérôme, comme tu me pousses, on ne peut pas dire que Mc a abusé des pauses kiné , même contre Borg :-) Ça devait être une autre façon de le respecter, tu me diras, mais ça colle bien avec Mc :mrgreen:

    Pour qui veut voir, voilà du Mc contre Borg, et sans faux semblant.
    Pour moi, Mc était fair play, contre Borg « sur le terrain » et sans en faire des tonnes 6:48. Trente ans après, je m’en souviens. Et pourtant je n’étais pas pour Mc à l’époque.

    http://www.youtube.com/watch?v=tVwPAOpFweY&feature=related

    • DIANA 21 août 2010 at 16:03

      La conférence de presse de Nadal, je la trouve plutôt pas mal, et cela me conforte dans l’idée qu’il fera tout ce qui lui est possible pour le titre : normal.

      http://tennisconnected.com/home/2010/08/20/cincinnati-masters-rafael-nadal-quarterfinal-press-conference/

      Et je note que mon analyse de ce matin était relativement proche de celle du taureau :) Qu’est-ce à dire, un début de relation fusionnelle? :mrgreen:

    • Franck-V 21 août 2010 at 16:08

      je t’admire, Diana, et pourtant je reste un homme sensible et délicat qui assume son côté féminin :mrgreen:

  3. DIANA 21 août 2010 at 16:14

    Stop teasing me please :evil:
    Je ne suis pas fan de Nadal, rien de nouveau sous les tropiques, mais il faut rendre à César, hein ? Ok, il est n° 1 grâce à la terre battue, sans le talent de qui tu sais :mrgreen: et avec une gauchitude faite pour emmerder son monde :mrgreen: mais bon, il est ce qu’il est, et l’assume et fait plaisir à ses fans, tout va très bien dans le meilleur des mondes, no?

    • Franck-V 21 août 2010 at 16:23

      Ah ben , loin de moi l’idée de lui contester son talent sur TB, même le plus convaincu de ses contestataires n’oserait, surtout qu’il l’assume plutôt bien sans dévier d’un iota depuis 5 ans.

      Alors tant qu’il est encore permis de douter du reste, même ici, ce n’est pas le plaisir de ses fans qui va me tourmenter, loin de là :-)

    • DIANA 21 août 2010 at 16:31

      Il est évident que sur le dernier point de ton post, nous sommes on ne peut plus d’accord :) et je ne sais pas pourquoi, mais il me semble partager plus avec toi qu’avec lui, beaucoup plus même :)Bon, j’arrête, ca va jaser :mrgreen:

  4. Colin 23 août 2010 at 19:58

    Hé oui comme certains l’ont remarqué ce texte fut jadis publié sous d’autres cieux, le pseudo de Cédric sous lesdits cieux étant Gugakuerten. Je signe et resigne ce que j’en avais pensé à l’époque:

    « Beau texte.

    Bizarre quand même que tu associes Mutis et Malisse : à part leurs noms, ils me semblent assez dissemblables, tant au niveau de leurs palmarès respectifs, que des raisons pour lesquelles ces palmarès n’ont pas été à la hauteur de leur talent. Olivier Mutis, on en a parlé pas mal récemment et je le vois très bien dans le rôle de Xavier Mutisse, mais je vois moins bien Xavier Malisse dans la peau du personnage…

    tes commentaires Guga ? »

    Ce à quoi Cédric répondait:

    « je n’ai pas pensé à Malisse consciemment, !!! Comme quoi l’inconscient !! Car comment ne pas y voir Malisse ? ?!! Honnetement je cherchais un prénom proche d’olivier,… enfin voilà et notre ami belge est apparu à la surface. Car oui, je ne sais plus qui le disait, mais Malisse c’est pas comme O. Mutis. Le Malisse je l’ai vu l’an dernier à Monaco contre Nalbandian, c’était du très haut niveau. Il y a aussi un match contre Fed à l’us open … je ne sais plus quelle année, c’était quelque chose !! »

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