« Dopage : ma guerre contre les tricheurs » – un détour par le tennis

By  | 24 mai 2021 | Filed under: Regards

Ma guerre contre les tricheurs, Jean-Pierre Verdy, Arthaud, 2021

Il y a quel­ques semaines sor­tait en li­brairie « Dopage : ma guer­re con­tre les tri­cheurs », ou le témoig­nage de Jean-Pierre Verdy, di­rec­teur des contrôles de l’Ag­ence française de lutte con­tre le dopage (AFLD) de 2006 à 2015. Un livre duquel il ne faut pas at­tendre de gran­des révéla­tions (contra­ire­ment à ce qu’an­nonce le ban­deau un brin racoleur de l’éditeur) mais précieux pour ce qu’il dit des rap­ports de force en co­ulis­ses avec les différents ac­teurs du sport (fédéra­tions, or­ganisa­tions pro­fes­sion­nelles, ag­ences di­ver­ses…). Si le cyc­lisme et l’athlétisme se tail­lent la part du lion dans l’ouv­rage, les quel­ques pages con­sacrées au ten­nis (4 pour être précis !) ne sont ainsi pas dénuées d’intérêt en ce qu’elles con­fir­ment la réputa­tion d’opacité de ce sport en général, et le man­que de co­opéra­tion de ses in­stan­ces in­ter­nationales en par­ticuli­er. Quat­re pages, cela reste peu pour just­ifi­er l’achat si seul le ten­nis vous intéresse, aussi je vous par­tage ici la par­tie du livre con­cernée.

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« Le ten­nis, la colère de Toni Nadal. Selon que vous serez puis­sant ou misérable…

Dans le ten­nis, les at­titudes sont di­amétrale­ment opposées entre les in­stan­ces qui gèrent le cir­cuit pro­fes­sion­nel mon­di­al et la fédéra­tion française. Cette dernière a toujours col­laboré avec l’ag­ence. Entre nous, les re­la­tions étaient par­ticuliè­re­ment bon­nes, notam­ment avec Gil­bert Ysern, le di­rec­teur général de Roland-Garros, et son ad­joint Jérémy Bot­ton, que j’avais connu chez ASO (Amau­ry Sport Or­ganisa­tion, or­ganisateur entre aut­res du Tour de Fran­ce, du Giro et de Paris-Roubaix, ndlr). Ils nous avaient donné les moyens fin­an­ci­ers pour contrôler leurs centres de for­ma­tion, ce qui est rare. Ils souhaitaient ar­dem­ment que l’on in­ter­vien­ne auprès des jeunes. Ils avaient même tenté de nous rapproch­er des in­stan­ces in­ter­nationales, en vain malgré tous leurs ef­forts.

En re­vanche, travaill­er avec l’As­socia­tion des ten­nism­en pro­fes­sion­nels (ATP) et la Fédéra­tion in­ter­nationale de ten­nis (ITF) a toujours été très com­pliqué. En 2009, nous or­ganisons pour la première fois un cer­tain nombre de contrôles in­opinés à Roland-Garros, avec l’aval de l’ITF. Nous n’avons pas ob­tenu d’avoir la main sur ces contrôles. Une société privée de­vait s’en charg­er, mais elle n’opérait pas avec nos valeurs… Par ex­em­ple, elle ne réalisait que des contrôles avec des an­alyses clas­siques, alors que si j’avais eu la main, j’aurais cer­taine­ment de­mandé des tests EPO.

Chaque jour je com­muniquais deux noms de joueurs mas­culins, et le len­demain deux noms de joueuses, pour un total, sur la com­péti­tion, de douze contrôles. Ce qui ferait hurl­er de rire les cyc­listes du Tour de Fran­ce… En outre, pour des raisons in­explic­ables, les échan­tillons étaient toujours expédiés au laboratoire de… Montréal, alors que celui de Chatenay-Malabry se trouve à un quart d’heure en voi­ture de la Porte d’Auteuil !

Malgré ce faib­le nombre de contrôles, le monde du ten­nis a été co­ur­roucé de de­voir s’y prêter. De­vant le tollé sus­cité, le président de la l’AFLD Pier­re Bord­ry a re­ncontré Ricci Bitti, le président de l’ITF. La re­la­tion entre ces deux hom­mes au caractère bien trempé s’est plutôt mal passée. Sur­tout quand le président Bord­ry a fait part au président de l’ITF de son in­ten­tion de vouloir réalis­er des contrôles in­opinés ciblés lors du pro­chain tour­noi de Bercy. Et qu’ils seraient cette fois in­tégrale­ment opérés par nos soins. C’était d’autant plus légitime que la fédéra­tion al­leman­de nous avait fait des de­man­des spécifiques pour cibl­er cer­tains de ses joueurs. Ricci Bitti lui a opposé un refus cinglant, ce qui n’avait rien d’il­licite. C’est étran­ge tout de même qu’un président de fédéra­tion in­ter­nationale re­fuse que l’on réalise des contrôles gratuite­ment sur ses com­péti­tions…

Heureuse­ment, le Code mon­di­al anti­dopage prévoit qu’après une vaine ten­tative de négocia­tion entre une fédéra­tion in­ter­nationale et une ag­ence nationale, cette dernière peut faire appel à l’Ama (Ag­ence mon­diale anti­dopage, ndlr) pour ob­tenir l’autorisa­tion des pratiqu­er des tests durant une com­péti­tion. L’AFLD, de­vant le refus d’ob­tempér­er de l’ITF, a donc fait la de­man­de auprès de l’Ama, qui lui a répondu favorab­le­ment. Cette réponse est arrivée quel­ques heures seule­ment avant le début du tour­noi de Bercy. Nous av­ions décidé de ne pratiqu­er que sept contrôles : sur trois Français, trois Al­lemands et un Es­pagnol. Les contrôles avec les joueurs al­lemands et français, notam­ment Jo-Wilfried Tson­ga et Gaël Mon­fils, se sont passés dans le calme et la co­ur­toisie. Il n’en a pas été de même avec le ten­nisman es­pagnol.

Le médecin préleveur Samir Mes­bahi s’était présenté de­vant la chambre d’hôtel de Rafael Nadal. Je lui avais de­mandé de ne pas in­ter­venir trop tôt afin de le laiss­er dor­mir. On prend moins de précau­tions avec les cyc­listes… Dès le début de l’in­terven­tion du médecin, le champ­ion et son en­tourage se sont montrés… très hos­tiles. Toni Nadal, l’oncle et entraîneur de Rafael Nadal, était par­ticuliè­re­ment en colère. A tel point que Samir m’a appelé pour me pass­er le coach es­pagnol. Celui-ci m’a alors co­uvert d’in­jures, dans un assez bon français, pour avoir di­ligenté ce contrôle. « Un scan­dale ! », hurlait-il.

J’espère en tout cas que ce n’est pas à cause de notre in­ter­ven­tion que Rafael Nadal s’est in­cliné sèche­ment le len­demain de ce test, face à Novak Djokovic.

Au prin­temps, il avait égale­ment perdu le len­demain d’un contrôle, à Roland-Garros, en huitièmes de fin­ale face à Robin Soderl­ing. Et il figurait déjà parmi les douze joueurs que j’avais désignés.

Ces contrôles nous ont attiré les foud­res de la Fédéra­tion in­ter­nationale de ten­nis. C’est la seule et dernière fois que nous avons pu procéder à des contrôles in­opinés, et ciblés par nos soins, sur ces grands tour­nois de ten­nis en Fran­ce. »

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Jean-Pierre Verdy ter­mine par deux élar­gisse­ments, le pre­mi­er émet­tant un para­llèle entre l’ITF et l’Union cyc­liste in­ter­nationale (UCI) en ter­mes de bâtons dans les roues mis à l’AFLD dans l’exer­cice de ses mis­s­ions, et le second dis­tin­guant Roger Feder­er comme rare cas de ten­nisman de pre­mi­er plan ap­pelant pub­lique­ment à une politique de tests anti­dopages plus acérée dans son sport.

Je ter­mine quant à moi avec un lien d’in­terview de l’auteur, si vous voulez approfon­dir un peu, notam­ment le par­cours, la démarche ayant mené Verdy à la rédac­tion de ce livre… et les li­mites qu’il s’est lui-même mises.

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89 Responses to « Dopage : ma guerre contre les tricheurs » – un détour par le tennis

  1. Sam 1 juin 2021 at 15:54

    Il est quand même étonnant ce Monfils. A l’agonie depuis le début de l’année, le moral dans les chaussettes, les blessures – les blessures de Gael … -, un tirage atroce avec Ramos V, premier set perdu 6/1 en 20mn, et le voilà, menant 2 sets à 1, littéralement à l’agonie sur le court, en train de transformer le match en un énième psychodrame dont il a le secret, et on sait déjà que le public se souviendra de son après midi.

    • Anne 1 juin 2021 at 19:59

      je sais que Monfils a bon fond mais… il fait trop souvent le coup « je suis à l’agonie » sur le court pour soudain sortir de son chapeau sur le point suivant…

  2. Nathan 1 juin 2021 at 16:52

    Osaka élevée au rang d’Antigone de résistance à l’oppression médiatique et à la société de l’Apparence et Rublev qui perd en 5 sets face à Struff, c’est trop pour moi ! Journée atroce ! Même si je sais que quelque part au Cambodge cette victoire improbable, mais pas imméritée, réjouira un aficionados du jeu du Teuton.

  3. Paulo 1 juin 2021 at 17:35

    Combien de temps la collaboration entre FAA et Toni Nadal va-t-elle durer ?
    6ème défaite du Canadien depuis le début de leur collaboration, en avril – pour 4 défaites seulement… toutes sur terre battue.
    Comme quoi, avoir été l’entraîneur historique et oncle du meilleur joueur de tous les temps sur terre battue n’est pas une garantie.

    Sinon, personne ne parle d’Hubert Hurkacz, vainqueur surprise à Miami et qui depuis ne met plus un pied devant l’autre (battu au premier tour par un Néerlandais inconnu)… allergique à la terre battue, lui aussi ?

    • Paulo 1 juin 2021 at 17:36

      pour 4 victoires seulement

    • Perse 1 juin 2021 at 17:41

      HH est blessé, il avait abondonné à Rome et je pense qu’il n’a pas suffisamment récupéré.

      Pour FAA, je pense qu’il commence à payer la stéréotypie de son jeu, sur le circuit principal, c’est impitoyable. Et puis même si Sinner et lui ont nombre de similirarité, la force mentale de l’italien est incomparable.

  4. Guillaume 2 juin 2021 at 09:10

    Allez, my two cents sur l’affaire Osaka (j’espère avoir le temps de revenir un jour sur le sujet dopage) :

    Osaka, c’est unanimement admis par les gens qui la côtoient (et elle l’admet elle-même) est à la base une grande timide, une introvertie. Être une personnalité publique est une épreuve pour elle. Et ça n’a pas eu lieu à moitié dans son cas puisqu’elle a été très vite bombardée nouvelle Serena Williams, sauveuse d’une WTA en péril… Toutes les n°1 n’ont pas droit à pareil tintamarre. N°1 (sportive et médiatique), est-ce un endroit d’où elle aime la vue, comme disait Connors ? Quand on voit son peu d’empressement à récupérer la place, on peut se poser la question. Elle ne serait pas la première à rêver une carrière sportive de premier plan tout en souhaitant esquiver les feux de la rampe en-dehors… Vouloir les avantages sans les inconvénients, un truc très actuel, non ?

    Après il y a la place, et l’ampleur, prise par ses activités de sponsoring. Je lisais qu’elle a environ 25 sponsors. Une vraie femme-sandwich. 25 sponsors qui sont autant d’activités de représentation, d’activités de RP, de shootings… bref, de vie publique – visiblement contradictoire avec ses aspirations à elle ? Elle est TOUT LE TEMPS en représentation quelque part. L’agent qui lui a négocié tout ça a certes pensé à sa santé financière (sportive la mieux payée de tous les temps, explosant X2 les records de Sharapova il n’y a pas si longtemps), mais s’il y en a bien un qui doit être blâmé pour ne pas s’être préoccupé de la santé mentale de sa joueuse, c’est probablement lui :mrgreen:

    Dernière chose : je n’ai jamais trouvé, d’aussi loin que je l’ai vu débouler (son Indian Wells victorieux en 2018) que cette nana était heureuse à jouer au tennis. Sa façon d’être blasée dès l’âge de 20 ans, à ne s’intéresser qu’aux Grands chelems, à jouer un minimum de tournois (10 depuis un an et demi ! A peine plus de 30 matchs joués… Même en tenant compte du Covid cela reste très minimaliste), à déclarer forfait au beau milieu d’un ‘petit’ tournoi parce que c’est veille de Grand chelem et qu’elle estime être prête et ne pas vouloir risquer se blesser en jouant un match de plus… De petits détails de ce genre qui interpellent. Outre le peu de respect que cela traduit pour l’écosystème tennis, on n’avait jamais vu quelqu’un si jeune faire preuve de si peu d’appétit. D’habitude à 20 ans les champions ont envie de tout bouffer. Et c’est 10 ans plus tard qu’ils deviennent économes de leurs efforts. Ca ne dénote pas une « flamme » dingue. Du début.

    Je vois plus d’amour du tennis chez Barty, quitte à avoir pris une année sabbatique pour retrouver la flamme quand c’est devenu trop dur pour elle pour X raisons.

    L’arrivée de la terre battue, surface qui lui cause de réels problèmes et qu’elle ne parvient pas à dompter (première fois qu’elle est en situation d’échec dans une carrière jusque-là météorique), était peut-être l’élément X pour faire déborder la cocotte-minute.

    Et la presse le bouc-émissaire. Loin de la réalité du milieu : on a rarement vu plus complaisant qu’une salle de presse de tennis. Pour en avoir vu un paquet, les suiveurs réguliers du circuit font plutôt preuve de tact (parce qu’ils ‘cernent’ les champions et font dans l’empathie, et parce que leur intérêt n’est pas de ‘braquer’ le joueur contre eux), les occasionnels ne l’ouvrent pas et attendent que les premiers posent les questions. Les questions peuvent être certes redondantes, mais certainement pas agressantes. Osaka en outre a une image très positive dans le microcosme : plutôt gentille, fraîche au moins à ses débuts, démontrant dernièrement une conscience sociale rare dans ce sport (tournée US dernière… son positionnement militant d’alors apparaissant d’autant plus étonnant rétroactivement)… Tout le monde l’aime bien.

    Pour finir, oui ça interroge sur l’entourage d’Osaka au moins autant que sur l’intéressée. Personne pour la conseiller, aussi bien sur le fond que sur la forme ? Sur la forme elle allait forcément passer pour l’ingrate, la « déconnectée » du monde réel – comme dit mon homard préféré la millenial égoïste/individuelle. Oubliant que si elle en est là c’est parce que des tournois de tennis existent, que des médias en parlent et les diffusent… Bref et contrairement au discours dominant, on ne se fait jamais tout seul. A moins qu’elle ait posé son message sans en parler à personne, son staff l’a laissé en rase campagne sur ce coup… Et sur le fond, si elle est autant en détresse que son message semble l’indiquer, ça pose autant la question de savoir ce que font/à quoi servent tous les gens qui l’accompagnent au quotidien.

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