La saga de l’ère Open – Acte V : le parking de Flushing Meadows

By  | 19 mars 2019 | Filed under: Actualité, Histoire

Dans l’imaginaire col­lec­tif, l’année 1968 est générale­ment présentée comme le début de l’ère Open. Dans l’his­toire du ten­nis, les re­cords an­térieurs à 1968 sont, pour la plupart, en­tachés d’une sus­pic­ion quant à leur sig­nifica­tion, car ces re­cords ont été étab­lis dans le con­tex­te de deux uni­v­ers radicale­ment séparés, celui des amateurs et celui des pro­fes­sion­nels. Mais, dans la pratique, 1968 n’est que le début d’une période agitée qui va s’étaler sur toute une décen­nie, au cours de laquel­le l’ITF, in­stan­ce in­ter­nationale « of­ficiel­le » du ten­nis, va faire émerg­er les con­tours du cir­cuit pro­fes­sion­nel tel que nous le con­nais­sons aujourd’hui. Voici une es­quis­se de cette his­toire, racontée par le pris­me de ceux qui l’ont im­pulsée. En guise d’épilogue, ce cin­quiè­me et de­rni­er acte ex­plique com­ment le cir­cuit pro­fes­sion­nel a pris ses con­tours définitifs, tels que nous les con­nais­sons aujourd’hui. Ici, zoom sur la conférence de pre­sse du 30 août 1988, en marge de l’US Open.

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L’âge d’or

La décen­nie 1978-1988 voit se stabilis­er les con­tours du ten­nis pro­fes­sion­nel. La dernière secous­se majeure, l’af­faire des In­ter­villes, a été réglée. Le mil­liar­daire texan Lamar Hunt souffre de la con­curr­ence que lui font les tour­nois du Grand Prix, qui font l’objet de quotas de présence. En dis­putant les tour­nois WCT, les joueurs ne co­chent aucune case « Grand Prix » et se con­dam­nent à dis­put­er leur quota de tour­nois du cir­cuit prin­cip­al sur une période re­sserrée ; le cir­cuit WCT péric­lite au cours des années 80, seule la gran­de fin­ale de Dal­las re­stant un mo­ment im­por­tant.

Le coup de grâce au cir­cuit WCT semble être donné par Philip­pe Chat­ri­er, qui util­ise l’arme de la réintroduc­tion du ten­nis aux Jeux olym­piques. A Séoul en 1988, seuls les joueurs n’ayant dis­puté aucun autre tour­noi que ceux du Grand Prix seront auto­risés à con­courir. Le di­rigeant français peut at­tendre sereine­ment l’olym­piade coréenne, qui lui of­frira une fin de carrière d’of­ficiel du ten­nis digne de tous les éloges.

Néan­moins, si le fleuve du ten­nis pro­fes­sion­nel semble être rentré dans un cours définitif, ce serait une lour­de er­reur que de pens­er qu’il ne s’est rien passé au cours de la décen­nie.

L’US Open a ef­fectué une mue spec­taculaire au cours des années 70. Avec le déménage­ment du Grand Chelem new-yorkais vers un nouveau site, à Flush­ing Meadows, dont la folie am­bian­te n’a rien de com­mun avec l’at­mosphère feutrée de Forest Hills. Avec l’ap­pari­tion des night sess­ions et leur re­transmiss­ion télévisuel­le, qui per­met­tent d’élar­gir les pub­lics du ten­nis. Avec « son » champ­ion Jimmy Con­nors enfin, bientôt re­joint par John McEn­roe. Les deux en­fants ter­ribles du ten­nis américain électrisent les foules par leurs duels gonflés d’adrénaline, qui ne se dégus­tent pas seule­ment dans les tri­bunes mais aussi de­vant le petit écran. Pour le meil­leur et pour le pire, le ten­nis bas­cule dans la catégorie des sports populaires. Les aut­res Grands Chelems, chacun à son rythme, bas­culent pro­gres­sive­ment vers ces nouveaux stan­dards.

C’est égale­ment l’époque des « caractères ». Nas­tase, Con­nors et McEn­roe évoluent de­vant un corps ar­bitr­al qui n’est qu’en cours de pro­fes­sion­nalisa­tion. Pour l’es­sentiel, ils ne com­met­tent pas d’infrac­tion au règle­ment… puis­qu’il n’y a pas de règle­ment. Leurs débor­de­ments sus­citent à la fois la con­ster­na­tion de l’es­tablish­ment du ten­nis et la joie du grand pub­lic, qui en re­deman­de. Si l’on ajoute Gerulaitis, Pecci et Noah les fêtards charis­matiques, Vilas le bûcheron roman­tique, Borg, Wiland­er et Ed­berg les glaçons venus du froid, ou en­core Be­ck­er le guer­ri­er sur­puis­sant, on ob­tient une galerie de champ­ions aux per­son­nalités et aux jeux radicale­ment différents, dont les con­fron­ta­tions don­nent lieu à de spec­taculaires op­posi­tions de styles et de caractères. Les succès de Borg, Vilas, Noah et Be­ck­er font de leurs pays de nouvel­les places for­tes du ten­nis ; longtemps con­finé à un face-à-face entre les Etats-Unis et l’Australie, le ten­nis de haut niveau s’in­ternational­ise et se démoc­rat­ise ; la con­struc­tion de ter­rains de ten­nis prend une ampleur inégalée à trav­ers le monde.

La cocotte-minute

Con­séqu­ence di­rec­te de cet âge d’or, les re­tombées écon­omiques du ten­nis con­nais­sent un essor sans précédent. Au cours de cette décen­nie magique, les prize money, les garant­ies, les contra­ts de matériel et d’équipemen­ti­ers, voient leurs mon­tants ex­plos­er. Au sein du Con­seil pro­fes­sion­nel, la voix des joueurs, via l’ATP, se fait de plus en plus pre­ssan­te pour réclam­er une par­tie des re­tombées fin­an­cières générées par les tour­nois. La re­distribu­tion des droits télé, en par­ticuli­er, fait l’objet de con­voitises de la part des joueurs.

Mais c’est sur­tout le calendri­er du Grand Prix qui est au centre des dis­cuss­ions. Après avoir imposé aux joueurs, en 1982, de dis­put­er 10 tour­nois du Grand Prix en plus de ceux du Grand Chelem, Philip­pe Chat­ri­er leur im­pose une par­tie de leur calendri­er. Aucune hié­rarchie de tour­nois n’exis­te alors au sein du Grand Prix. Au sein du Con­seil pro­fes­sion­nel, les di­rec­teurs de tour­nois font valoir leur point de vue, et ex­igent la présence de joueurs d’en­vergure dans leur tab­leau afin d’at­tir­er le pub­lic et les spon­sors. L’avan­tage d’un tel fonction­ne­ment, c’est de répar­tir équitab­le­ment la présence des meil­leurs aux quat­re coins du monde, et de favoris­er ainsi le dévelop­pe­ment du ten­nis dans les pays du Tiers-Monde. C’est ainsi que tel ou tel Top Ten peut se voir obligé de jouer à Man­il­le, Johan­nesbourg ou Itaparica, par­fois au détri­ment des plages de repos qu’ap­pelle son corps fatigué. Un des ex­em­ples les plus célèbres sera le marat­hon mon­di­al de Boris Be­ck­er fin 1986, qui enchaîne en trois semaines trois vic­toires à Syd­ney, Tokyo et Paris-Bercy. La décen­nie dorée 1978-1988 va voir s’amplifi­er le phénomène des bles­sures, qui se généralisera lors de la décen­nie suivan­te. En im­posant à un joueur son calendri­er, Philip­pe Chat­ri­er œuvre con­crète­ment au dévelop­pe­ment du ten­nis hors de ses fron­tières naturel­les que j’évoquais plus haut, mais il se fait de plus en plus d’en­nemis dans les rangs des joueurs.

En para­llèle à ces dis­cuss­ions, le pro­fes­sion­nalis­me est en voie de généralisa­tion ; après Borg, c’est Lendl qui pose de nouveaux stan­dards, en s’im­posant des doses quotidien­nes de travail tech­nique, physique et ment­al sans com­mune mesure avec ce qui ex­is­tait jusqu’alors. La con­cep­tion du calendri­er de tour­nois, qui se doit de pre­ndre en com­pte la récupéra­tion et le décalage horaire, de­vient un as­pect im­por­tant de la ges­tion de la carrière du joueur, et ne peut plus s’ac­commod­er des di­ktats de Philip­pe Chat­ri­er.

C’est à l’aune de ces con­sidéra­tions que le climat s’en­venime au sein du Con­seil pro­fes­sion­nel. Les doléances des joueurs se heur­tent à des fins de non-recevoir répétées de la part de Chat­ri­er. En 1987, le Français n’écoute pas Pat­rick Pro­isy et quel­ques aut­res, qui lui soufflent l’idée de céder un mini­mum, notam­ment sur les droits télé, afin de préserv­er l’unité. Philip­pe at­tend tran­quil­le­ment 1988, qui sera marquée par le déménage­ment de l’Open d’Australie vers un stade (Flind­ers Park) enfin digne d’un tour­noi du Grand Chelem, mais sur­tout par ces fameux JO de Séoul, qui con­sac­reront, pour quat­re ans, le « meil­leur joueur de ten­nis au monde ».

Une révolu­tion de park­ing

La saison 1988 est marquée, bien en­ten­du, par le Petit Chelem de Mats Wiland­er. Mais elle est marquée aussi par une étran­ge série de défec­tions des champ­ions vis-à-vis des Jeux olym­piques de Séoul. Dans les co­ulis­ses se joue une par­tie que Philip­pe Chat­ri­er, man­ifes­te­ment, n’a pas vu venir – alors qu’elle était prévisib­le…

La bombe ex­plose au début de l’US Open. Les re­présen­tants de l’ATP an­non­cent une conférence de pre­sse en marge du tour­noi. Le climat de défian­ce est tel que les or­ganisateurs du Grand Chelem américain leur re­fusent l’entrée dans le stade de Flush­ing Meadows. Le lieu choisi pour cette conférence de pre­sse sera donc… un park­ing du stade ! De­vant une as­sis­tance médusée, Brian Gottfried, Tim Mayot­te, Yan­nick Noah et Mats Wiland­er pre­nnent la parole tour à tour, et déroulent la liste de griefs à l’en­contre de l’ITF et du Con­seil pro­fes­sion­nel, visant doub­le­ment Chat­ri­er qui préside les deux in­stitu­tions. Les cad­ences in­fer­nales qui leur sont imposées, la lon­gueur du calendri­er, l’im­possibilité de jouer où ils le souhaitent… Tout y passe.

Parmi les in­ter­venants figure Mats Wiland­er. Le n°2 mon­di­al re­tient naturel­le­ment l’at­ten­tion, puis­qu’il est alors à la chas­se d’un Petit Chelem, ce qui lui per­mettrait de déloger Lendl de sa place de n°1 mon­di­al. Il y par­viendra, au terme d’une em­poig­nade de près de cinq heures. Parmi ses pro­pos, il en est un qui passe in­aper­çu au départ, mais dont l’idée ne va pas tard­er à chemin­er. Entre quel­ques amabilités à l’en­contre de Philip­pe Chat­ri­er, Mats relève qu’il n’a pas eu à affront­er une seule fois le n°1 mon­di­al Ivan Lendl au cours de l’année en cours ; et il plaide pour une hié­rarchie des tour­nois, de­stin­ée à faire s’affront­er plus souvent les meil­leurs. Mast­ers 1000, vous n’êtes plus très loin… L’idée de Wiland­er est de pro­mouvoir, en quel­que sorte, un nombre limité de tour­nois, en y im­posant la présence des meil­leurs. Il y a bien, à l’époque, hors Grand Chelem, quel­ques rendez-vous qui ras­semblent une bonne par­tie du gratin mon­di­al. Le Li­pton de Key Bi­scayne, dis­puté sur deux semaines avec sept tours au meil­leur des cinq sets ; Monte Carlo et Rome, les rendez-vous in­con­tourn­ables de la terre bat­tue au prin­temps ; ou en­core Cin­cinnati, la répéti­tion générale avant l’US Open. Mais tant de chemin reste à faire…

Cette conférence de pre­sse du 30 août 1988 fera date dans l’his­toire du ten­nis. Après avoir listé les griefs à l’en­contre de l’ITF et du Con­seil pro­fes­sion­nel, l’ATP for­mule trois vœux à l’at­ten­tion du Con­seil pro­fes­sion­nel :

  • re­struc­tur­er le Con­seil pro­fes­sion­nel, afin que l’ATP y bénéficie de la majorité des voix ;
  • ramen­er l’ITF à ses mis­s­ions, qui ne con­sis­tent pas à or­donn­er aux joueurs où et quand ils doivent jouer ;
  • créer une cais­se com­mune de­stin­ée à répar­tir de manière plus équit­able les droits télé perçus par les tour­nois.

Les « mutins » af­fichent la co­uleur. Si leurs trois re­ven­dica­tions ne sont pas satis­faites, ils lan­ceront leur pro­pre cir­cuit, hors de l’influ­ence de l’ITF.

Le semi-échec de Séoul

En­tretemps, Philip­pe Chat­ri­er a fait le re­cen­se­ment des ab­sents de Séoul. Le bilan est lourd : Ivan Lendl, Mats Wiland­er, Boris Be­ck­er, Andre Agas­si, Yan­nick Noah ne seront pas là. A en­tendre la majorité d’entre eux, on ne voit aucun signe de défian­ce naturel­le vis-à-vis de l’esprit olym­pique, en re­vanche ils ne sont pas dis­posés à faire la moindre con­cess­ion à Philip­pe Chat­ri­er ; par­ticip­er aux JO, c’est re­ntr­er dans la logique du di­rigeant français, qu’ils sub­is­sent de­puis plus de dix ans. La capitale coréenne devra se pass­er d’eux…

En cat­astrop­he, l’ITF se voit obligée de réintégrer des joueurs pour sauv­er la face, en par­ticuli­er Stefan Ed­berg. C’est une volte-face bien visib­le : le Suédois a dis­puté, début 1988, la fin­ale WCT de Dal­las face à Boris Be­ck­er, ce qui aurait dû lui in­ter­dire de par­ticip­er aux JO… Rap­pelons que le but de cette clause était d’en finir avec la WCT de Lamar Hunt !

Le tab­leau de Séoul ras­semblera fin­ale­ment trois Top Ten avec Stefan Ed­berg (n°3 mon­di­al), Tim Mayot­te (n°9) et Milos­lav Mecir (n°10). Marquée, côté français, par le « feuil­leton Lecon­te » qui fait état de ses hésita­tions avant de fin­ale­ment ar­riv­er à Séoul hors de forme et de s’inclin­er au pre­mi­er tour, cette première édi­tion du tour­noi de ten­nis olym­pique dans sa vers­ion moder­ne débouc­he sur la vic­toire de Mecir face à Mayot­te. La demi-finale Edberg-Mecir sera le plus beau match du tour­noi ; en cinq sets, le « Chat » prend sa re­vanche sur la mag­nifique demi-finale de Wimbledon, où il s’était in­cliné en cinq sets face au même ad­versaire. Un vain­queur honor­able, un tab­leau « décent », mais en l’abs­ence de 7 des 10 meil­leurs joueurs du monde, il est dif­ficile de donn­er quitus à Chat­ri­er et de voir dans le vain­queur le « meil­leur joueur du monde » jusqu’à Bar­celone 1992…

La nais­sance de l’ATP Tour

De toute façon, dans l’esprit de nombreux joueurs mem­bres de l’ATP, l’es­sentiel de l’avenir du ten­nis ne se joue pas à Séoul, mais dans la con­crétisa­tion de leur menace pro­noncée sur un park­ing. Après quel­ques mois de di­alogue de sourds avec l’ITF, l’ATP met sa menace à ex­écu­tion.

Aux man­et­tes, un binôme hétéroc­lite com­posé de Hamil­ton Jor­dan et Harold Sol­omon. Le pre­mi­er nommé est un pur politique, puis­qu’il a été di­rec­teur de cabinet de la Maison-Blanche ; le second est un an­ci­en joueur, fin­alis­te de Roland Gar­ros en 1976, de­venu en­suite le président de l’ATP. Sol­omon est à la manœuvre avec les di­rec­teurs de tour­nois, qu’il a con­nus comme joueur, pour négoci­er leur in­tégra­tion au futur calendri­er de l’ATP Tour. Jor­dan, lui, ap­porte ses talents de négociateur pour amen­er dans la cor­beil­le de la mariée deux spon­sors de tail­le, IBM et Mer­cedes. Le par­rain du Grand Prix, la firme américaine Nabis­co spécialis­ée dans les bi­scuits, peut se rhabill­er ! En marge de l’US Open 1989, après des mois de négocia­tions serrées, Jor­dan peut enfin détaill­er l’or­ganisa­tion de ce nouveau cir­cuit, qui verra le jour le 1er jan­vi­er 1990.

La gran­de force de l’ATP Tour, qui en in­stal­lera d’emblée la légitimité aux yeux du grand pub­lic, est de ne pas touch­er aux grands équilib­res du ten­nis pro­fes­sion­nel. Les quat­re levées du Grand Chelem sont re­spectées pour ce qu’elles sont, les quat­re saisons du ten­nis, et ne sub­iront la con­curr­ence d’aucun tour­noi ATP, pas plus que la Coupe Davis. L’or­ganisa­tion de ces cinq com­péti­tions reste entre les mains de l’ITF. La majorité des tour­nois du Grand Prix con­ser­vent leur place. Une nouvel­le hié­rarchie voit le jour, en re­vanche, avec l’émerg­ence d’une di­zaine de tour­nois plus ric­he­ment dotés, et qui ne sub­iront pas la con­curr­ence d’aut­res com­péti­tions.

Le 1er jan­vi­er 1990, le cir­cuit ATP tel que nous le con­nais­sons aujourd’hui voit le jour. Le nombre de tour­nois sans con­curr­ence sera fixé définitive­ment à neuf en 1993, leur pre­mi­er nom sera les « Super Neuf », puis « Mast­ers Séries », et enfin « Mast­ers 1000 ». Ils ne tar­deront pas à de­venir ob­ligatoires pour tous les joueurs ayant le clas­se­ment re­quis. D’une année sur l’autre, cer­tains tour­nois fer­meront boutique et seront re­mplacés par d’aut­res, mais le nombre de tour­nois du cir­cuit prin­cip­al sera globale­ment in­changé.

Un chan­ge­ment majeur in­ter­vient, avec la réforme du clas­se­ment ATP. Créé en 1973 par l’ATP, le clas­se­ment était jusqu’alors cal­culé sous la forme d’une moyen­ne pondérée des résul­tats du joueur. En 1990, un nouveau système de points voit le jour, un joueur donné se voyant attribu­er des points sur un tour­noi donné en fonc­tion de son résul­tat dans le tour­noi et de l’im­portan­ce de ce tour­noi. Il con­ser­ve ces points pen­dant 52 semaines, c’est-à-dire jusqu’à l’édi­tion suivan­te du même tour­noi. Le clas­se­ment du joueur cor­res­pond au cumul des points ob­tenus au cours des douze mois écoulés.

La ver­rue de la Coupe du Grand Chelem

Cette révolu­tion de la fin des années 80 se fait sous les yeux im­puis­sants de l’ITF, qui ne peut rivalis­er fin­an­cière­ment avec les som­mes désor­mais à l’œuvre dans ce nouveau cir­cuit. Du moins le croit-on. L’ITF ripos­te et sort l’ar­tillerie lour­de en 1990, avec la création d’un nouveau tour­noi, la Coupe du Grand Chelem. Or­ganis­ée à Munich, cette com­péti­tion va con­centr­er un flot de critiques qui la con­dam­neront d’emblée.

Dis­put­ée pour la première fois, donc, en décembre 1990, la Coupe du Grand Chelem est un tour­noi à 4 tours et 16 joueurs s’affron­tant par éli­mina­tion di­rec­te. Ces 16 joueurs sont sélec­tionnés sur la base uni­que de leurs résul­tats en Grand Chelem, et non sur leur clas­se­ment ATP. Mais l’at­ten­tion se con­centre très vite sur la dota­tion de l’épreuve, 6 mill­ions de dol­lars au total, dont 1,5 mill­ions au seul vain­queur de l’épreuve. Ces som­mes, col­os­sales voire déliran­tes à l’époque, ne man­queront pas de faire touss­er be­aucoup de monde. Dans un monde de plus en plus con­necté – même si In­ter­net n’exis­te pas en­core – les joueurs dis­putant l’épreuve es­suient d’emblée un procès pub­lic en mer­cenaris­me, et be­aucoup d’entre eux choisiront de ne pas la dis­put­er pour ne pas se voir re­proch­er d’être des chas­seurs de primes.

La première édi­tion de l’épreuve, re­mportée par Pete Sampras, est marquée par un gros in­cident lors de la demi-finale entre Brad Gil­bert et David Wheaton, que l’ar­bitre sépare in ex­tremis avant qu’ils n’en vien­nent aux mains. Qu’un sim­ple in­cident d’ar­bitrage déclenche une telle tempête en dit long sur l’exacer­ba­tion des nerfs des joueurs. Wheaton, vain­cu en cinq sets, résumera d’ail­leurs l’épisode en ces ter­mes : « L’ar­bitre a fait une er­reur qui m’a coûté un mill­ion de dol­lars ».

Les édi­tions ultérieures de la Coupe du Grand Chelem af­fichent un pal­marès cer­tes pre­stigieux, mais qui ne mas­que pas l’im­pact décrois­sant de cette com­péti­tion au cours des années 90. Les joueurs la voient avant tout comme une ex­hibi­tion gras­se­ment rémunérée, et ne tom­bent pas dans le piège de l’ITF qui souhaite la voir sup­plant­er le Mast­ers de l’ATP. C’est dans l’in­différ­ence générale que la tri­ste­ment célèbre Coupe du Grand Chelem vit sa dernière édi­tion en 1999. Cet épisode met à jour l’er­reur monumen­tale de l’ITF, qui aura cru hameçonner les joueurs en leur faisant miroit­er une rémunéra­tion indécente, mais qui n’aura jamais réussi, par ex­em­ple, à négoci­er avec l’ATP Tour la dis­tribu­tion de points ATP pour cette com­péti­tion.

Philip­pe Chat­ri­er a perdu la par­tie. En bon homme politique, il aura com­mis des er­reurs et celle-ci n’est pas, et de loin, la plus lour­de de con­séqu­ences. Elle est, en tout cas, la plus man­ifes­te. Lui qui s’inquiétait dans les années 80 que les intérêts sup­érieurs du ten­nis ne se co­uc­hent de­vant les con­sidéra­tions fin­an­cières, est le même homme qui a utilisé, avec cette com­péti­tion, l’unique carot­te de l’ar­gent pour détourn­er les joueurs du cir­cuit prin­cip­al. Le bilan de Chat­ri­er, bien en­ten­du, ne se résume pas à cela. Mais c’est sans doute le signe qu’en 1991, juste avant de vivre son rêve ul­time de voir la Fran­ce soulev­er à nouveau le Saladi­er d’ar­gent, il était temps pour lui de pass­er la main.

La re­vanche post­hume de Philip­pe Chat­ri­er

Le vœu de Mats Wiland­er va être exaucé… mais le piège va se re­ferm­er sur les joueurs. En man­ifes­tant le souhait de s’affront­er plus souvent et en mon­tant un cir­cuit ATP dédié (entre aut­res) à cet ob­jec­tif, les meil­leurs joueurs du monde vont dis­pos­er dans les années 90 d’un ter­rain de jeu qui va en effet les mettre très souvent en con­fron­ta­tion di­rec­te les uns avec les aut­res. Mais les Mast­ers 1000 qui s’ajoutent désor­mais aux quat­re tour­nois du Grand Chelem vont rapide­ment con­stitu­er trop de jalons sur le calendri­er, ne lais­sant guère de place pour la récupéra­tion. Les lésions, les bles­sures, les méfor­mes des joueurs vont désor­mais se multi­pli­er, en raison des cad­ences in­fer­nales imposées par un calendri­er démen­tiel… Re­tour à la case départ.

La gros­se er­reur, com­m­ise cette fois par les joueurs, c’est d’avoir confié les rênes de l’ATP, non pas à d’an­ciens joueurs comme ils l’avaient fait lors de la création de leur syn­dicat en 1972, mais à des ex­perts en négocia­tion, en com­munica­tion et en mar­ket­ing. Ces de­rni­ers n’avaient sans doute pas d’équivalent pour mettre sur pied, en quel­ques mois, une struc­ture crédible cap­able de régent­er le ten­nis pro­fes­sion­nel. En re­vanche, les menaces qu’un calendri­er sur­chargé fait peser sur le corps humain leur étaient in­con­nues.

La logique que les joueurs ont com­bat­tue avec succès en 1988 est la même qui s’im­pose à eux en 2019, à ceci près que l’ATP Tour est une éman­a­tion des joueurs eux-mêmes et qu’ils n’ont pas un Philip­pe Chat­ri­er à détest­er. Et plutôt que de s’in­terrog­er sur les cad­ences in­fer­nales qui les re­ndront grabataires à 50 ans, ils per­sis­tent à s’inflig­er des souffran­ces physiques au nom de la pseudo-obligation de présence sur 13 com­péti­tions dans l’année.

Philip­pe Chat­ri­er est décédé en juin 2000, quel­ques jours après le for­mid­able bras de fer entre Nor­man et Kuert­en en fin­ale de Roland Gar­ros, deux joueurs dont la carrière sera brisée par les bles­sures. Il a as­s­isté à la fin de la sinistre Coupe du Grand Chelem qui faisait of­fice de ver­rue sur sa carrière d’of­ficiel du ten­nis. Mais il n’a vécu que les prémices d’une logique qui s’est désor­mais généralisée, la logique de l’ar­gent, celle-là même qui a em­porté la Coupe Davis. Il serait in­téres­sant de de­mand­er aujourd’hui à Mats Wiland­er, John McEn­roe ou Yan­nick Noah si avec le recul ils es­ti­ment avoir eu raison de s’in­surg­er sur un park­ing en 1988. Oui, sans doute à l’époque, car leur souci d’indépen­dance était en par­tie just­ifié. Non, si l’on ob­ser­ve la situa­tion ac­tuel­le qui fait du joueur de ten­nis un pre­stataire de ser­vices tout autant qu’un objet mar­ket­ing.

Philip­pe Chat­ri­er était sans doute un type trop fermé sur ses posi­tions, avec qui il était réputé dif­ficile de négoci­er quoi que ce soit. Mais au moins traitait-il les joueurs comme des humains et non comme des vac­hes à lait. C’était décidément un autre siècle… Sa prin­cipale er­reur, aut­re­ment plus lour­de de con­séqu­ences que l’af­faire de la Coupe du Grand Chelem, c’est d’être resté sourd aux re­ven­dica­tions des joueurs au cours des années 80. Déjà le calendri­er était démen­tiel, et déjà les joueurs souhaitaient être plus in­dépen­dants. S’il les avait écoutés, Philip­pe Chat­ri­er aurait sans doute mis en place une hié­rarchie des tour­nois pro­che de celle que nous con­nais­sons aujourd’hui, met­tant en avant une di­zaine de tour­nois majeurs hors Grand Chelem mais ex­igeant que chaque joueur en dis­pute au moins cinq (et non tous), sans mettre en péril la Coupe Davis.

C’est ce train-là que Chat­ri­er a loupé, mais que les joueurs ont loupé aussi. Lorsque le président français a plié bagage en 1991, les boy-scouts pas­sionnés de ten­nis qui com­posaient son équipe se sont effacés aussi, et les joueurs n’ont plus eu d’autre in­ter­locuteur que des marchands de tapis. Philip­pe Chat­ri­er doit aujourd’hui se re­tourn­er dans sa tombe, en voyant que c’est Be­rnard Giudicel­li qui a enfilé son co­stume à la FFT, et que son suc­ces­seur est l’un des fos­soyeurs de la Coupe Davis.

L’hydre bicéphale

Ainsi s’achève cette es­quis­se sur l’ère Open. La con­figura­tion ac­tuel­le vient de souffl­er sa 29ème bougie, ce qui témoig­ne d’une in­dis­cut­able stabilité. De­puis 1990, l’ATP et l’ITF, qui se par­tagent la gouver­nance du ten­nis pro­fes­sion­nel, se re­gar­dent en chiens de faïence, se rapproc­hent ou s’éloig­nent, en fonc­tion du con­tex­te et des di­rigeants. Mais à ce jour, toutes les ten­tatives de modifica­tions de la gouver­nance ac­tuel­le ont fait long feu.

Une des plus visib­les de ces ten­tatives est la mise en place du clas­se­ment « Race » en 2000, cal­culé sur les résul­tats de­puis le 1er jan­vi­er de l’année en cours, et non sur les 52 dernières semaines. Ce clas­se­ment, dont Fab­rice San­toro est l’un des déten­teurs de la 1ère place (un peu de sil­ence là-bas dans le fond), a fait l’objet d’un mar­ket­ing in­iti­al énorme, mais n’a fait qu’ajout­er à la con­fus­ion : il ne se sub­stituait pas au vérit­able clas­se­ment ATP, qui re­stait la référence pour désign­er les joueurs auto­risés à intégrer les tab­leaux des tour­nois. Tombée en désuétude, la Race semble toujours ex­ist­er.

Quoi qu’il en soit, la co­exist­ence non pacifique qui s’est man­ifestée ces de­rni­ers mois entre l’ATP et l’ITF et qui a débouché sur l’exécu­tion de la Coupe Davis – par­don, sa « réor­ganisa­tion pour en as­sur­er la péren­nité » – re­ssemble fort au début d’une guer­re de manœuvres qui pour­rait débouch­er sur un nouveau schéma de gouver­nance. Ou plutôt de non-gouvernance.

Portés par leurs carrières extra­or­dinaires et les re­tombées écon­omiques qui en découlent, Roger Feder­er, Rafael Nadal et Novak Djokovic ont re­bat­tu les car­tes. Mem­bres ou non du board de l’ATP, ces trois im­men­ses champ­ions re­présen­tent aujourd’hui une puis­sance fin­an­cière telle qu’ils contrôlent, de fait, l’ATP. Et la braderie de la Coupe Davis est sig­nificative du pouvoir réel de l’ITF ; aucune il­lus­ion n’est plus per­m­ise, la fédéra­tion in­ter­nationale ne pèse pas bien lourd par rap­port à eux. Un autre in­dice, an­ec­dotique, n’en est pas moins révélateur de l’im­puis­sance de l’ITF. Le tie-break au 5ème set, longtemps spécifique à l’US Open, est mis en place en cette année 2019 à l’Open d’Australie et à Wimbledon, à des mo­ments différents et selon des com­ptages différents, Roland Gar­ros re­stant – pour l’instant – sur la règle des deux jeux d’écart. Chaque tour­noi du Grand Chelem vit ainsi en totale in­dépen­dance de l’ITF et de ses collègues.

Entre l’ATP et l’ITF, la rup­ture semble con­sommée. Mais elle était pro­bab­le­ment in­évit­able, chacune des deux struc­tures ayant des mis­s­ions dif­féren­tes. Fédéra­tion de fédéra­tions, l’ITF a pour mis­s­ion le dévelop­pe­ment du ten­nis dans le monde. Sa prin­cipale re­ssour­ce, jusqu’à présent, était la Coupe Davis. Or, elle a choisi de mettre cette com­péti­tion – et donc cette mis­s­ion fon­damen­tale – entre les mains d’un fonds d’in­vestis­se­ment (c’est comme le Port-Salut), dont le pat­ron est peut-être un pas­sionné de ten­nis, mais aucune­ment un philanthrope. La mise à l’écart, au sein de l’ITF, de Chris Ker­mode et de Be­rnard Giudicel­li, les deux pilotes de la braderie de la Coupe Davis, semble an­nonc­er une guer­re de manœuvres. Les pro­chains mois vont être cruciaux.

Mats Wiland­er, dans feu la revue Ten­nis Magazine, in­diquait que « la santé de notre sport ne se mesure pas dans le mon­tant du chèque du vain­queur de Wimbledon. La santé de notre sport, c’est de voir des gamins jouer au ten­nis dans la rue ».

A méditer.

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Grand pas­sionné de ten­nis de­puis 30 ans.

171 Responses to La saga de l’ère Open – Acte V : le parking de Flushing Meadows

  1. Paulo 14 avril 2019 at 10:57

    Encore deux jeunots qui font parler d’eux : Garin (22 ans) et Ruud (20 ans) s’affrontent ce soir pour le titre à Houston. Quel que soit le vainqueur, ce sera son premier titre sur le grand circuit.
    Avec la finale Paire-Andujar à Marrakech, on aura ce soir 21 vainqueurs pour 22 tournois joués en 2019 (Federer étant le seul joueur à avoir remporté deux tournois cette année).

    • Don J 14 avril 2019 at 22:58

      C’est pas un peu comme au début des années 2000 ou on avait la fin de l’ère Sampras et les Safin, hewitt et Roddick qui se disputaient les restes avant l’avènement de Roger. De mémoire des année très indécise concernant la place de numéro 1 en fin d’année.

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