Sur l’écran noir, les lignes blanches… Episodes 2 et 3 (« Borg McEnroe » et « Battle of the Sexes »)

By  | 6 décembre 2017 | Filed under: Actualité, Légendes

Rap­pel : Epi­sode 1

Cet ar­ticle, publié en août 2010, présen­tait quel­ques films dans les­quels le ten­nis jouait un rôle plus ou moins im­por­tant, que les per­son­nages prin­cipaux soient des ten­nism­en du di­manche (e.g. « Un éléphant ça trom­pe énormément ») ou des sup­posés champ­ions (in­ventés pour l’oc­cas­ion, e.g. « L’in­connu du Nord Ex­press » ou « Match Point »). Mais aucun de ces films n’avait pour sujet des champ­ions ex­is­tants ou des vrais matches, comme c’est le cas des deux « fic­tions in­spir­ées de faits réels » qui sont sort­ies sur nos écrans à trois semaines d’in­terval­le en cet auto­mne 2017.

Epi­sode 2 : « Borg McEn­roe »

Le titre an­non­ce la co­uleur : les trois sujets du film sont Borg (be­aucoup), McEn­roe (un peu), et Borg/McEn­roe (ac­cessoire­ment).

Le film a été écrit par un (jeune) scénaris­te suédois (Ron­nie San­dahl), réalisé par un cinéaste danois (Janus Metz Peders­en), et co­produit par la Suède : par conséquent, on ne sera pas sur­pris, à sa vis­ion, par la place prépondérante ac­cordée à « IceMan » au détri­ment de « Super­Brat ». Le film con­sac­re be­aucoup de temps à es­say­er de per­c­er le mystère Borg (sans y ar­riv­er vrai­ment, bien sûr, mais en lançant des pis­tes in­téres­santes), bien aidé en cela par la per­for­mance re­mar­qu­able de son in­terprète, le Suédois (d’origine is­landa­ise) Sverir Gud­nason, qui se glis­se dans la peau de son modèle avec une at­ten­tion aux détails tout à fait digne dudit modèle.

Borg McEnroe affiche film fr

Le « présent » du film se situe auto­ur de Wimbledon 1980: une ou deux semaines avant, pen­dant, et juste après le tour­noi. Des flash-backs (nombreux) vien­nent es­say­er de nous éclair­er sur les origines de la per­son­nalité tor­turée de Borg, et, plus rare­ment, sur celle (non moins tor­turée) de McEn­roe. Cette co­ur­te période est décrite comme un tour­nant majeur dans la carrière de Borg : le début de la fin, les premières man­ifes­ta­tions de ses doutes sur sa capacité à re­st­er au plus haut niveau et à con­tinu­er à vivre la vie qui va avec.

Com­men­çons par les atouts du film. Ils sont nombreux (l’af­fiche française n’en fait cepen­dant pas par­tie… les deux joueurs, de dos, et McEn­roe qui lève les deux bras… WTF?)

Tout d’abord, comme on vient de le dire, le film re­pose sur les (lar­ges) épaules de son in­terprète prin­cip­al, qui ar­rive à in­carn­er avec un réalis­me troub­lant le champ­ion tacitur­ne qui nous a fas­ciné dans notre en­fan­ce (oui, je général­ise, mais be­aucoup de 15-lovers qui ont mon âge, voire un peu plus, seront de mon avis). At­titude, mimiques, façon de boug­er et de (peu) parl­er, tout en lais­sant de­vin­er la mar­mite qui bouil­lonne sous la sur­face lisse : tout y est, y com­pris un peu de l’aura que dégageait celui qui a été, rappelons-le, la toute première super­star mon­diale du sport. L’effet « mac­hine à re­mont­er le temps » fonction­ne à plein, d’autant que les aut­res ac­teurs qui in­car­nent les mem­bres du clan Borg sont tout aussi re­ssemblants : Stel­lan Skarsgard fait un Len­nart Be­rgelin plus vrai que na­ture (tour à tour men­tor, père de sub­stitu­tion, chauf­feur, coach, souffre-douleur) et Tuva Novot­ny joue la fiancée, Mariana Simiones­cu, de façon très touc­hante. La re­constitu­tion de l’époque est ir­réproch­able : co­stumes, décors, voi­tures, raquet­tes, cigaret­tes, rouf­laquet­tes, tout est à l’unis­son pour nous ramen­er dans les sevent­ies.

Plus réussis en­core sont les flash-backs qui re­vien­nent réguliè­re­ment sur l’en­fance et sur l’adolesc­ence de Borg. En par­ticuli­er, le jeune « ac­teur » qui in­car­ne Borg pré-ado est im­pres­sion­nant (il est joué par le pro­pre fils de Björn, Léo). Toutes ces scènes don­nent l’impress­ion d’être en train de re­gard­er un documen­taire d’époque (c’est d’ail­leurs le but visé, et l’on peut sup­pos­er que San­dahl et Metz Peders­en ont « rejoué » des im­ages d’archive is­sues de vieux films super-8 de la famil­le Borg ou d’ac­tualités télévisées). Le film décrit le jeune Björn en gamin colérique, in­cap­able de maîtris­er ses émo­tions, et rejeté par ses par­tenaires et éducateurs à cause de ses écarts de con­duite. Pris en main par Be­rgelin (sélec­tion­neur de l’équipe de Coupe Davis), il va rapide­ment apprendre, sous son in­flu­ence, à canalis­er la rage et l’an­gois­se qui l’habitent. Borg est com­paré à une cocotte-minute, cap­able de sup­port­er la pre­ss­ion sans rien laiss­er paraître, alors que ça bout à l’intérieur. Sa man­iaquerie et ses super­sti­tions sont abordées au détour d’une scène de comédie (dans la bouc­he de Vitas Gerulaitis qui, dans un night club et en­touré d’une noria de jol­ies fil­les, en ex­pose la liste à un McEn­roe médusé ; et où le spec­tateur con­tem­porain réalise que Rafael Nadal, avec ses multi­ples tics et TOCs, avait un pre­stigieux prédéces­seur en ce domaine).

Shia Labeouf (qui a fait des pieds et des mains pour avoir le rôle) campe un McEn­roe peu re­ssemblant physique­ment (on y re­viendra) mais il le joue avec une éner­gie de bon aloi. Dis­ons qu’il re­spec­te l’esprit du per­son­nage, même s’il tente souvent l’imita­tion (plutôt réussie d’ail­leurs, à la li­mite de la carica­ture). Son per­son­nage reste néan­moins lar­ge­ment sous-développé par rap­port à celui de son aîné scan­dinave. Le grand film sur Bi­gMac reste à faire. Ceci dit, là en­core, l’as­pect documen­taire fonction­ne à plein, avec par ex­em­ple l’inénarr­able bob qui orne la tête de son père quand il est en tri­bunes, et les re­la­tions, dis­ons, in­st­ables, que Super­Brat pouvait en­tretenir avec les aut­res joueurs, en par­ticuli­er ses com­pat­riotes et par­tenaires de Coupe Davis. Le film ose notam­ment une scène où Peter Flem­ing vient lui dire ses quat­re vérités dans le ves­tiaire après s’être fait lamin­er en quarts de fin­ales. Je ne sais pas si c’est aut­hentique mais c’est un mo­ment fort du film.

Enfin, « le » match pro­pre­ment dit, la fameuse fin­ale, est plutôt pas mal re­constitué, en privilégiant là en­core un cer­tain réalis­me. Franche­ment, on aurait pu subir bien pire, quand on voit ce que cer­tains tâcherons sont cap­ables de nous in­flig­er en pous­sant à son extrême la laideur et l’épilep­sie de l’esthétique clipes­que (ex­em­ple : ce pseudo-match de ten­nis de table entre un an­ci­en grand champ­ion, Timo Boll, et un bras robotique). On pour­rait pre­sque, à l’opposé, re­proch­er à Metz Peders­en de film­er ce match myt­hique de façon très clas­sique, sans vérit­able in­nova­tion par rap­port à ce que faisait déjà Hitchcock dans « L’in­connu du Nord Ex­press » : un plan sur le jeu lui-même, un plan sur les spec­tateurs (notam­ment Be­rgelin et Simiones­cu en train d’an­goiss­er dans la loge), et un plan (bavard) sur les jour­nalis­tes télé et leurs com­men­taires « live » (OK OK, chez Hitchcock en 1951, c’étaient des com­men­tateurs radio, mais le prin­cipe est le même). Il faut croire que c’est la norme et qu’on ne peut y déroger…

D’où vient alors, que malgré toutes ses qualités, le film peine à nous touch­er en pro­fon­deur? J’avan­cerais quel­ques pis­tes.

D’abord, le décalage que l’on ne peut s’empêcher de re­ssen­tir entre le McEn­roe tel qu’in­carné par Shia Labeouf et celui de nos souvenirs d’époque. L’ac­teur américain per­son­nifie, comme on l’a écrit plus haut, un McEn­roe fidèle dans l’esprit, mais il avait 30 ans au mo­ment du tour­nage et ça se voit. Or, McEn­roe en 1980 était un post-adolescent de 21 ans, mal dégros­si, au visage rougeaud et en­core poupin, et cet as­pect physique si im­por­tant est mal rendu.

Borg McEnroe 80 les vrais et les acteurs

Dans le même ordre d’idée, un as­pect un peu gênant est le fait que « Borg McEn­roe » fait quasi­ment l’im­passe sur les re­la­tions d’amitié, réelles, qui ex­is­taient déjà entre ses deux per­son­nages prin­cipaux à l’époque (rap­pelées par Big Mac dans cette in­ter­view cer­tes co­ur­te, mais qui dit l’es­sentiel). A l’opposé, le film veut faire croire que cette amitié a com­mencé au len­demain de la fin­ale de 1980. Par ail­leurs, il se per­met quel­ques an­achronis­mes ou in­ven­tions be­aucoup moins gênants (les spécialis­tes du ten­nis de cette époque les détec­teront aisément) : étant donné le grand souci du détail dont ont fait pre­uve les créateurs de ce film, on peut être sûrs qu’ils ont com­mis ces petites er­reurs en toute con­nais­sance de cause, à des fins, comme on dit, de « dramatisa­tion ». Au final, la seule an­omalie vrai­ment choquan­te, c’est la petite barbe qu’ar­bore l’ac­teur qui in­terprète Jimmy Con­nors (pro­bab­le­ment a-t-il voulu pro­test­er ainsi con­tre la place micro­scopique ac­cordée à son per­son­nage dans le film).

Mais avant tout, la prin­cipale raison du man­que « d’amabilité » du film est tout simple­ment con­substan­tiel­le au per­son­nage de Borg : com­ment re­ndre aim­able quel­qu’un qui ne fait rien pour l’être, quel­qu’un dont la per­son­nalité est aussi im­pénétr­able ? Casse-tête, dont San­dahl et Peders­en n’ont pas voulu sor­tir par la dramatisa­tion à out­rance -un peu, quand même- ni par la psyc­hologie de bazar -un peu aussi, quand même-. On est face à un film d’auteur européen (et même, européen du nord), pas un mélo tire-larmes, ni un film à sus­pen­se, ni un blockbust­er hol­lywoodi­en avec bal­les blanches qui fusent à 300 à l’heure et raquet­tes qui ex­plosent. On est donc plutôt dans le re­spect de la vraisemblan­ce et de la réalité des per­son­nages : Borg reste souvent mutique, et même si Be­rgelin et Simiones­cu es­saient un peu de ver­balis­er à sa place, les di­alogues des scènes bor­gien­nes sont générale­ment réduits à leur plus sim­ple ex­press­ion. Par cer­tains côtés le per­son­nage de Borg rap­pelle celui de Mar­ti­al (joué par Daniel Auteuil) dans « Un cœur en hiver » de Claude Sautet : Après une heure quaran­te de film, on ne le com­prend pas be­aucoup plus qu’au début, par con­tre on voit bien la mar­que qu’il a pu laiss­er sur les aut­res. Para­dox­al, comme le fait que Borg était à cette époque une idole ab­solue, pro­voquant l’hystérie des fil­les et l’adula­tion des garçons, sans rien faire en ap­par­ence pour ça. De­venu malgré lui une « icône cul­turel­le », au même titre que James Dean, Che Guevara, Jim Mor­rison, Bob Mar­ley ou les Be­at­les.

[Pour pro­long­er le plaisir, lire ou re­lire l’ex­cellen­te critique déjà publiée par Sam ici-même : « Borg – McEn­roe, Le Film« ]

Epi­sode 3 : « Battle of the Sexes »

Pour le coup, celui-ci est un vrai film hol­lywoodi­en, pro­duit par la Fox, mais dont la réalisa­tion a heureuse­ment été confiée à un co­u­ple de cinéastes in­dépen­dants (Valerie Faris et Jonat­han Dayton, à qui l’on doit par ex­em­ple l’ex­cellent « Lit­tle Miss Sunshine »). Il a été écrit par le britan­nique Simon Be­aufoy (auteur en 1997 du scénario du jouis­sif « The Full Monty »).

Emma Stone and Billie Jean King, Steve Carell and Bobby RiggsFon­damen­tale­ment, il s’agit d’un film ex­trême­ment bien écrit, bien joué, au rythme soutenu malgré ses deux heures, bref une vraie comédie à l’américaine dans la plus pure tradi­tion du genre.

Evi­dem­ment, pour que ça marche, il faut que les ac­teurs soient au niveau, et c’est bien le cas. Si vous l’avez aimée dans « L’Homme ir­ration­nel » et » Magic in the Moon­light » les deux films qu’elle a tournés avec Woody Allen, ou dans « La La Land », qui lui valut l’Oscar, alors vous aimerez égale­ment Emma Stone en Bi­llie Jean King. Et Steve Carell est im­pay­able dans le rôle de Bobby Riggs.

Quand on voit les deux films à quel­ques jours d’in­terval­le comme ça a été mon cas cet auto­mne, les re­ssemblan­ces avec « Borg McEn­roe » sautent aux yeux, à un point tel qu’on est sur­pris que le titre du film ne soit pas « King Riggs » (ou que celui du film suédois ne soit pas « Battle of the Weir­dos »).

Comme « Borg McEn­roe », le film est con­struit de façon à con­verg­er vers la re­stitu­tion d’un match d’anthologie qui va en être le point d’orgue (match dont tous les spec­tateurs d’aujourd’hui con­nais­sent le résul­tat, d’où un faib­le sus­pen­se à ce niveau).

Comme « Borg McEn­roe », il détail­le la vie de chacun de ses deux per­son­nages prin­cipaux dans les temps qui précèdent ce fameux match (sig­nalons quand même une différence de tail­le : aucun usage du flash back dans « Battle of the Sexes », toute l’his­toire est contée de façon chronologique).

Comme « Borg McEn­roe », il s’at­tarde be­aucoup plus sur l’un de ses per­son­nages (ici, B.J. King) que sur l’autre.

Comme dans « Borg McEn­roe », les auteurs y vont fran­co sur la de­scrip­tion des fail­les voire des névroses des deux champ­ions. Riggs est présenté comme un joueur (gambl­er) mal­adif, abonné au séances chez le psy (qu’il con­ver­tit aux jeux de hasard) et aux réun­ions des joueurs an­onymes, un éter­nel gamin, ir­res­pons­able et in­satis­fait, qui se fait virer par sa femme (une riche héritière), et qui trouve dans l’or­ganisa­tion de matches mix­tes con­tre les meil­leures joueuses du mo­ment un moyen de re­devenir célèbre (et de se faire un max de pog­non). Quant au per­son­nage de King, ses deux re­ssorts dramatiques sont d’une part, son militan­tisme pour l’égalité, concrétisé par la création de la WTA et la lutte pour ob­tenir des gains plus décents pour elle et ses consœurs ; et d’autre part les affres liées à la découver­te de son homosexualité (dans les bras de sa co­if­feuse), elle qui était mariée de­puis ses 20 ans avec le com­préhen­sif Larry King (futur créateur, avec BJK, des tour­nois « in­ter­villes »).

Comme dans « Borg McEn­roe », la re­constitu­tion d’époque est par­faite : pas un ac­cessoire, un décor ou un co­stume ne man­quent pour nous im­merg­er dans l’année 1973. Et comme « Borg McEn­roe », le film est par­faite­ment docu­menté : (pre­sque) tout ce qu’on y voit est véridique. Ce qui, au fond, n’est pas si com­pliqué étant donnée la co­uver­ture médiatique in­sensée dont avait fait l’objet ce « spec­tacle » (car même si c’était un match de ten­nis, c’était avant tout un grand cir­que). Cepen­dant, quel­ques li­bertés ont été prises au niveau de la chronologie : les événe­ments qui se sont déroulés en réalité entre 1970 et 1973 sont présentés comme s’ils s’étaient passés en quel­ques mois.

Et enfin, comme dans « Borg McEn­roe » (et comme dans 99% des films récents « in­spirés de faits réels », qu’ils aient été tournés à Hol­lywood (« De­troit« , « Arrête-moi si tu peux« …) ou en Europe) une fois le match, euh par­don le film ter­miné, le générique de fin est précédé par un pan­neau racon­tant en quel­ques phrases ce que les per­son­nages sont de­venus, et par quel­ques vra­ies photos d’époque.

Billie Jean King and Bobby Riggs

Arrêtons là avec les similitudes… Et voyons main­tenant les par­ticularités de ce « Battle of the Sexes ».

Primo, c’est une comédie : on rit be­aucoup, prin­cipale­ment grâce au per­son­nage de Bobby Riggs, extra­vagant, pro­vocateur, in­fan­tile, ex­ces­sif, bouf­fon. On ne saura jamais si son mac­hisme rad­ical est réel ou feint, pour amus­er la galerie et faire réagir (aujourd’hui on di­rait « faire le buzz »). Le film lais­se habile­ment plan­er l’am­biguïté sur ce point (Riggs est en­tretenu par une épouse mil­liar­daire, ce qui le place dans une situa­tion con­jugale d’homme-enfant-objet, para­doxale pour cet auto­proc­lamé para­ngon de la sup­ériorité mas­culine).

Secun­do, les en­jeux de la « lutte fin­ale » sont totale­ment dis­sembl­ables. Dans « Borg McEn­roe », les deux champ­ions chas­sent un même ob­jec­tif : le titre suprême, la coupe de Wimbledon. Dans « Battle of the Sexes », il ne s’agit pas d’une « vraie » com­péti­tion spor­tive, même s’il y a un match de ten­nis à la clé. Cer­tes, Bobby Riggs, 55 ans, est un an­ci­en n° 1 mon­di­al (contra­rié, car il eut la mal­chan­ce suprême d’ar­riv­er au som­met en 1941, en pleine guer­re, la plupart des grands tour­nois étant annulés, ce qui réduisit ses tit­res à une por­tion con­grue – mais tous les his­toriens du ten­nis s’ac­cordent sur le fait qu’il fit par­tie du top 3 mon­di­al jusqu’en 1948). Cer­tes, Bi­llie Jean King est la meil­leure joueuse du monde en 1973 (à égalité avec Mar­garet Court). Mais ce match n’a rien d’of­ficiel ni de légitime, ce n’est jamais qu’un (gros) spec­tacle. Le film re­trace d’ail­leurs un événe­ment im­por­tant, totale­ment oublié de notre côté de l’At­lantique: BJK avait tout d’abord décliné l’offre de Riggs, et c’est vers Court (31 ans à l’époque, et déjà mère d’un petit garçon) qu’il s’était alors tourné pour or­ganis­er son show. Le match avait été à sens uni­que (6/2 6/1 pour Riggs), d’une part parce que l’Australien­ne n’avait semble-t-il pas fait pre­uve d’une gran­de com­bativité (épouse, mère, chrétien­ne traditionalis­te, elle ne voyait au fond aucun problème à per­dre un match con­tre un homme, même s’il avait l’âge de son père, et même si c’était de­vant des mill­ions de téléspec­tateurs) et d’autre part parce que Riggs s’était be­aucoup entraîné pour ar­riv­er « fit », et avait mis au point une tac­tique gag­nante (amort­ies et lobs). C’est en découv­rant le résul­tat de ce « match », et le déchaî­ne­ment de com­men­taires phal­locrates qui s’en suivit dans les médias et dans le milieu du ten­nis, que B.J. King chan­gea d’avis et décida d’ac­cept­er de re­présent­er la gent féminine pour une « re­vanche ». Il faut dire que de­puis plusieurs années King militait pour que les gains des joueuses soient revus à la haus­se (à l’époque le prize money ac­cordé aux fem­mes se mon­tait, en moyen­ne, à un huitième de celui des hom­mes). Ces dis­parités de traite­ment l’avaient amenée à créer à par­tir de 1970, avec Gladys Heldman (fon­datrice du magazine World Ten­nis et an­cien­ne joueuse), un cir­cuit para­llèle dans lequel elles entraînèrent plusieurs aut­res joueuses (dont Court qui fut bien obligée de les suiv­re), puis la WTA en 1973.

Les motiva­tions des deux pro­tagonis­tes à gagn­er ce fameux match sont donc de na­tures bien dif­féren­tes. Pour Riggs, s’il s’agit, en ap­par­ence, d’af­firm­er la suprématie mas­culine, en réalité, il s’agit sur­tout pour lui de re­st­er sous la lumière des pro­jec­teurs, de con­serv­er l’at­ten­tion des médias et des spon­sors, bref, de faire tourn­er la mac­hine à dol­lars qu’il a op­por­tuné­ment déclenchée avec son pre­mi­er match con­tre Court. En effet, s’il avait gagné con­tre King, d’aut­res matches très luc­ratifs auraient suivi, notam­ment con­tre la nouvel­le star en de­venir, Chris Evert. Pour Bi­llie Jean King, cela n’a rien à voir: il s’agit d’ef­fac­er l’image désastreuse laissée par la piteuse défaite de Mar­garet Court, et de clou­er le bec des sup­rématis­tes mâles qui s’étaient déchaînés suite à ce pre­mi­er match in­ter­sexes. Son sujet n’est pas de nier la sup­ériorité physique des meil­leurs joueurs sur les meil­leures joueuses: c’est de montr­er que la n°1 mon­diale vaut bien un vétéran de 55 ans, qu’une cham­pion­ne est apte à chal­leng­er un joueur homme sur un court de ten­nis, et sur­tout cap­able d’offrir un vrai spec­tacle au pub­lic. Just­ifiant ainsi un meil­leur salaire pour les joueuses… Mais pas seule­ment, puis­que le film racon­te bien com­ment son com­bat réson­nait dans l’en­semble de la société, à une époque où les féminis­tes réclamaient l’égalité. Elle l’exprimait ainsi en 2013: « Je pen­sais que ça nous ramènerait 50 ans en arrière si je ne gag­nais pas ce match. Cela ruinerait le tour féminin, et af­fecterait l’es­time per­son­nelle de toutes les fem­mes ».

Ar­rive donc l’heure du fameux match. Comme tout le monde le sait aujourd’hui, le 20 sep­tembre 1973, de­vant 30 000 spec­tateurs massés dans l’Astrodome de Hous­ton, et 50 mill­ions de téléspec­tateurs aux USA (parmi les­quels le jeune Barack Obama, 12 ans), King s’im­posera 6/4 6/3 6/3 (après avoir dû re­mont­er de 4/2 dans le pre­mi­er set). Riggs, leurré par sa facile vic­toire face à Court, avait lar­ge­ment sous-estimé son ad­versaire et négligé l’entraî­ne­ment les semaines qui précédaient le match. King au contra­ire était entrée sur le court avec une éner­gie décuplée, se bat­tant comme une for­cenée sur chaque balle. La stratégie habituel­le de Riggs, censée march­er à tous les coups con­tre une femme (amor­tie + lob) fit flop du fait de la con­di­tion physique ex­emplaire de King, et ce fut au contra­ire elle qui finit par pre­ndre la di­rec­tion des échan­ges et par le faire co­urir aux quat­re coins du court jusqu’à épuise­ment. Aucun effet clipes­que ici dans la re­stitu­tion cinématog­raphique de ce match: au contra­ire, le film adop­te le rendu très sage de la re­transmiss­ion télévisée de l’époque.

1973 Battle of the Sexes

Bref, allez voir « Battle of the Sexes », vous pas­serez un ex­cel­lent mo­ment, même si cer­tains puris­tes de 15-love trouveront que le film parle be­aucoup moins de ten­nis que de la société nord-américaine de 1973… Pas faux, mais cette his­toire a en­core bien des échos aujourd’hui.

Et lisez l’in­terview donnée récem­ment par Bi­llie Jean King à Nicolas Her­belot (dans le Magazine L’Equipe du 18 novembre), dans laquel­le on peut lire des tas de choses in­téres­santes, ainsi que cet échan­ge:
NH : Ce que vous avez fait pour les spor­tives…
BJK [Elle coupe.] Non, pas que pour les spor­tives…
NH : Par­don, pour toutes les fem­mes…
BJK [Elle re­coupe.] Non, pour tous, les fem­mes et les hom­mes. Ce sont eux qui nous re­jetaient, pas le contra­ire.


Quel­ques an­ec­dotes pour finir:

  • Dans les scènes de match, Steve Carell est doublé par un cer­tain… Vince Spadea (l’un des joueurs les plus en­nuyeux des années 1990).
  • Le rôle de Mar­garet Court est tenu par une sculpturale actrice australien­ne du nom de Jes­sica McNamee. Quand elle a re­ncontré Bi­llie Jean King peu après le tour­nage, celle-ci lui a im­médiate­ment de­mandé si elle était ap­parentée à Paul McNamee, joueur aus­sie des années 70 et 80 (grand spécialis­te du doub­le et deux fois vain­queur de la Coupe Davis). L’actrice lui a répondu ne l’avoir jamais re­ncontré, mais qu’il était très sûre­ment un co­usin éloigné, le pat­ronyme « McNamee » étant très peu porté en Australie.
  • Les spec­tateurs américains qui ont vu le film cette année ont été frappés par les multi­ples similitudes entre cette his­toire et l’affron­te­ment de 2016 pour la présid­ence US, entre Donald Trump et Hil­la­ry Clin­ton. A un détail près : l’année dernière, c’est le bouf­fon mac­histe qui a tri­omphé. Voir un re­cueil (en an­glais) de ces similitudes dans cet ar­ticle de Slate (pour les non-anglophones, Yan­nick Co­chen­nec en a fait une adap­ta­tion très résumée sur le site français)

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Sous d'aut­res cieux et en d'aut­res temps, je fus connu sous le sob­riquet de "Colin Mail­lard et Tar­temp­ion".

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18 Responses to Sur l’écran noir, les lignes blanches… Episodes 2 et 3 (« Borg McEnroe » et « Battle of the Sexes »)

  1. Perse 7 décembre 2017 at 15:28

    Merci Colin pour ces deux critiques.

    BJK fait partie des grands sportifs investis que tennis a créé dans la ligne de Bill Tilden ou Arthur Ashe ainsi que les WiWi.

    Sur la battle of the Sexes, est-ce que la lecture politique est raisonnable? Parce que je ne crois pas que Riggs était fondamentalement machiste plutôt qu’il avait trouvé une bonne niche pour gagner de l’argent.

    A part ça,plus le temps passe et moins je trouve que le sport a réellement d’impact culturel. A la limite les poings levés de Smith et Carlos en 1968 sont les seuls faits sportifs qui continuent à conserver une valeur symbolique forte.

    La Battle of the Sexes de 1973 est totalement inconnue maintenant et d’ailleurs manque de pertinence (une pro contre un retraité de 55 ans).

    • Colin 7 décembre 2017 at 21:27

      De rien, Perse !
      Oui, la lecture politique est raisonnable (enfin… surtout à l’époque). Certes, Riggs (comme je le dis dans l’article) n’était pas aussi misogyne qu’il voulait bien le faire croire, mais en revanche, les organisateurs de tournois US, menés par l’omnipotent Jack Kramer, eux, l’étaient (moins dans les mots, plus dans les faits).
      Ce « spectacle » a eu peu d’impact en France, ou en Europe, mais a durablement marqué les esprits aux USA.
      La « pertinence » sportive de ce match est nulle, comme tu l’indiques (mais elle aurait été tout aussi nulle si BJK avait dû affronter un joueur en activité!), d’ailleurs BJ King n’a accepté de le disputer QUE pour son impact médiatico-politique.

      • Perse 8 décembre 2017 at 18:36

        Merci pour Kramer et les promoteurs.

        Au sujet des battles of the Sexes, il y a actuellement Lindsey Vonn, plus grande skieuse de vitesse qui veut affronter les mecs. Et bien que l’écart de niveau soit bien plus faible (sport mécanique oblige), la pertinence du show est douteuse également.

        En tennis, Djoko et Na Li avaient fait une exhibition à Pékin et bien que ce fut pour le show, la différence de niveau était apparue abyssale.

      • Colin 8 décembre 2017 at 19:21

        Pour écrire la deuxième critique je me suis un peu documenté et je suis tombé sur cette page wikipedia qui recense (presque) tous les matches de tennis qui ont vu s’affronter un/des homme(s) et une/des femme(s).
        https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_the_Sexes_(tennis)

        On y parle notamment du Noah/Hénin de 2003 auquel un des 15-lovers belges avait assisté et qu’il nous avait raconté ici-même (Gérald, peut-être).

        « Sport mécanique » le ski, peste, comme tu y vas… C’est pas de la formule 1 ou du rallye ! La part physique est extrêmement importante, surtout en descente, il suffit de voir les jambes en tronc d’arbre des descendeurs.

        • Perse 8 décembre 2017 at 19:49

          C’est quand même le ski qui glisse sur la neige, et la part technique et sensorielle est absolument prépondérante, il suffit de voir les courbes absolument merveilleuses que taillent les Hirscher et Ligety pour constater que le muscle pur n’est pas tout (par rapport à de l’athlétisme par ex).

          Vonn a Lake Louise sur un parcours quasi-identique à la descente homme (c’est la piste la plus facile chez les hommes certes) est à 3 seconde, soit 3% d’écart, nettement inférieur à l’écart de force entre les genres en général.

          Par ailleurs cela fait 4 ans que Vonn ne tient plus sur ses skis plus d’un mois d’affilé sans tomber et Shiffrin s’affirme comme étant le plus grand talent du circuit, tous genres confondus.

  2. Kaelin 16 décembre 2017 at 15:42

    H

    • Montagne 16 décembre 2017 at 18:39

      C’est un message subliminal ?

      • Kaelin 18 décembre 2017 at 23:55

        même pas c’est juste que je m’ennuyais

  3. Guillaume 19 décembre 2017 at 10:29

    Alors…

    vu aucun de ces deux films (alors que je me promettais de regarder au moins le Borg / McEnroe). par contre il me vient une question pour les ancêtres du site : j’ai vu récemment (à la mort de Rochefort, quoi), Un éléphant ça trompe énormément, film qui m’a l’air d’être culte sous nos contrées. Ma question donc : POURQUOI ? j’avoue avoir trouvé ça pas bon, pas bon, pas bon de mon côté…

    • Colin 19 décembre 2017 at 17:10

      Ça alors, tu dois être la première personne depuis 40 ans qui me dit ne pas aimer ce film. Mais peut-être que cela va être l’occasion pour certains autres de faire leur coming out…
      Après tout, il paraît qu’il y a même des gens qui n’aiment pas Johnny :mrgreen:

      • Sam 20 décembre 2017 at 07:22

        Suffit de regarder un autre Feel good movie de copains genre au hasard « Les petits mouchoirs » pour comprendre pourquoi l’un est « culte » et l’autre le sera jamais, non ?

        • Perse 21 décembre 2017 at 10:05

          Les petits mouchoirs était une sacré bouse, bien surcôtée par l’effet « Canet passe à la réalisation ». Et pourtant j’adore le bassin d’Arcachon mais tout dans ce film était mauvais, surtout l’écriture des personnages, qui sont tous détestables, du script qui compile les situations les plus attendues et tropiques (l’échouage, sérieux?) et la réalisation longue et qui extorque les larmes (le discours de Magimel à l’enterrerement).

      • Guillaume 21 décembre 2017 at 11:12

        alors Canet en général je dois dire que j’aime pas des masses non plus :mrgreen:

        mais Un éléphant, je sais plat. Scénar plat, réal plate, gros clichés limite gênants, acteurs qui en font trop… en gros, c’est uniquement grâce à Rochefort si j’ai réussi à aller au bout.

        Dans la catégorie film de potes, qui lui ressemble énormément mais en reflet d’une autre époque, d’une génération plus récente, j’ai largement préféré Mes meilleurs copains. Plus fin, plus doux-amer, meilleurs acteurs (ouais, même Clavier encore supportable à l’époque)…

      • Colin 21 décembre 2017 at 16:43

        En réalité, ce sont devenus des clichés *après*, car l’esprit de ce film a été pillé par la suite.
        Exemple : aujourd’hui, les scénaristes n’ont pas le droit, dans leur scénario, d’oublier de placer un personnage homo sinon ils se font recaler (e.g. B.J. King dans « Battle of the Sexes », oups, mauvais exemple, car Billie Jean était vraiment gay… Bon mais par exemple dans « Little Miss Sunshine » des mêmes réalisateurs, c’était le personnage joué par Steve Carell qui était homo, et dans « The Full Monty » du même scénariste, il y avait 2 copains de la bande de bras cassés de Gas (Robert Carlisle) qui se découvraient une attirance mutuelle).
        Dans « Un Eléphant » c’était la première fois qu’on voyait ça dans un film « familial », et surtout d’ailleurs le fait que le personnage d’homo (joué par Brasseur, en plus, fallait avoir l’idée!) n’avait rien de caricatural.

        « Mes meilleurs copains » est excellent, dans une veine différente. C’est Bacri qui joue l’homo de circonstance (là encore, choix d’acteur pas évident au départ). Lanvin a une belle maison mais sans court de tennis, quelle lose.
        Je n’ai pas vu « Les petits mouchoirs » (because critiques catastrophiques).
        Côté Québec, la référence des films de potes c’est « Le Déclin de l’Empire Américain », chef d’oeuvre, pillé lui aussi par la suite. C’est le génial acteur Québécois Yves Jacques qui joue l’obligatoire gay de la bande. On ne voit cependant jamais les personnages jouer au tennis, ce qui est assurément une limite du film.
        Enfin côté british citons l’excellent « Peter’s Friends » de Kenneth Branagh, et c’est justement le nommé Peter (Stephen Fry) qui est le gay syndical. Réplique culte de Peter, à l’adresse d’une de ses copines (jouée par Emma Thompson) : « Sorry but I’m not in the vagina business ». Pas de partie de tennis non plus dans ce film, ce qui est un peu choquant pour des brits. Ah oui et j’ai failli oublier « 4 mariages et un enterrement », pas de partie de tennis non plus, mais évidemment 2 copains gays (Gareth et Matthew).
        Et tout ça grâce à Yves Robert et Jean-Loup Dabadie !

    • Paulo 20 décembre 2017 at 10:39

      Elle espère sans doute faire une Federer 2017 puissance 4 (ayant été absente des courts depuis 2013), autrement dit tout rafler en 2018, y compris bien sûr les 4 tournois du Grand Chelem… plus dure sera la chute :mrgreen:

      Plus sérieusement, beaucoup de ces sportifs de haut niveau sont littéralement drogués à l’adrénaline de la compétition, et sauf à avoir une vie post-carrière pro suffisamment riche et remplie, la tentation de revenir est grande. Mais la désillusion risque d’être à la hauteur ; cela dit si elle était (est) bonne en double, pourquoi pas tenter une ‘Hingis’ ?

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