US Open 2012 : faites vos jeux !

By  | 26 août 2012 | Filed under: Insolite

Me grat­tant la tête pour trouv­er un angle d’at­taque afin d’ap­port­er un peu de variété à l’exer­cice ô com­bi­en tradition­nel con­sis­tant à in­troduire un grand tour­noi par la pesée des favoris et out­sid­ers, j’ai déniché une petite ques­tion qui me trot­tait dans la tête de­puis un mo­ment : d’où tirons-nous ce plaisir de con­coct­er des pro­nos­tics, qu’est-ce qui pous­se, de façon com­pul­sive, à sup­put­er, peser, es­tim­er, évalu­er, coter, jaug­er les chan­ces des uns et des aut­res ? Pour­quoi ne nous contentons-nous pas de savour­er, en spec­tateurs gour­mets, le show pro­posé ?

Pre­mi­er élément de réponse, le ten­nis a beau être spec­taculaire, il n’est pas un art par na­ture, mais un jeu.

Le plaisir de scrut­er une par­tie im­plique de goûter une per­for­mance spec­taculaire, s’y ajoute éven­tuel­le­ment – pour les amateurs éclairés ! – les nuan­ces ap­portées par l’analyse du com­ment et du pour­quoi de tel coup ou de tel point. Mais sur­tout, nos pupil­les récla­ment du sus­pen­se, nous som­mes accros à l’indéter­mina­tion pro­duite par la com­péti­tion – raison pour laquel­le les tour­nois sans péril, les vic­toires an­noncées, les com­bats gagnés d’avan­ce nous para­is­sent sans gloire. Et quel que suc­culent fût le plat con­cocté par tel Maître queux de la balle, quel­les qu’en­gagean­tes les saveurs touillées par sa raquet­te in­spir­ée, qu’à la fin elles gavent les palais téléphages des plus gour­mands gastronomes, jusqu’à les mener par­fois à s’exil­er momen­tané­ment de la salle à man­g­er des délices (Kariiiim ? On mange !).

Bref, le ten­nis est un jeu, et re­gard­er le ten­nis, c’est jouer, par pro­cura­tion, la par­tie des duel­listes.

Mais je n’en ai pas fini avec vous !

Car la petite bête me grat­te en­core le cuir chevelu : soit, dit-elle (c’est une petite bête raison­neuse), mais si l’indéter­mina­tion est l’ingrédient qui sub­lime la re­cet­te, quel­le manie nous prend de la vouloir réduire à la moindre oc­cas­ion par la tor­ture de nos ménin­ges et des données dis­ponib­les, comme une vul­gaire béar­na­ise ?

Là j’ai décidé d’y aller à l’in­secticide et de con­sult­er les rayons philos. Qu’avaient-ils à pro­pos­er, con­cer­nant la na­ture du jeu, qui fasse un sort au para­doxe de la rage pro­nos­tique et du goût du sus­pen­se ?

J’ai trouvé des per­les, que je vous livre céans. Mais avant de les par­courir, gar­dez en tête ma prémisse : le boursicoteur-spectateur de ten­nis joue avec et par les joueurs. Oyez, amis 15lovers, des extra­its du sieur Colas Duflo in Jeux de hasard et d’ar­gent – Con­tex­tes et ad­dic­tions.

« Ainsi, Leib­niz peut-il con­sidér­er les jeux comme un des lieux où s’exprime li­bre­ment l’in­tellig­ence humaine, et souhaite-t-il qu’on étudie les jeux de plus près, parce que l’ac­tivité ludique peut nous of­frir des en­seig­ne­ments précieux pour per­fec­tionn­er l’art d’in­vent­er. Car, dans le monde clos du jeu, l’esprit humain se man­ifes­te dans sa libre in­ven­tivité, il s’exer­ce à l’es­tima­tion des chan­ces dans les jeux de hasard et d’ar­gent, aux cal­culs et à l’analyse des com­binaisons stratégiques dans ceux de réflex­ion, à la prévis­ion des de­sseins de l’ad­versaire dans les jeux de con­flit. Le jeu offre un es­pace privilégié où s’exer­ce l’in­tellig­ence humaine, à cause du plaisir qu’il sus­cite, qui at­tire, qui sait main­tenir l’intérêt, et qui est le pre­mi­er moteur de l’ingéniosité. L’esprit s’y ex­er­ce li­bre­ment, sans les contra­in­tes du réel et les urg­ences du be­soin, il offre des con­di­tions pures d’exer­cice de l’ingéniosité. »

Bon début, n’est-ce pas ?

Mais les chas­seurs de petites bêtes pro­fes­sion­nels ne se sont pas arrêté là, et un ex­plorateur du XXe siècle, dans un safari à l’«Homo ludens » pro­pose une défini­tion du jeu qui cerne mieux en­core sa na­ture originale :

« Le jeu est une ac­tion ou une ac­tivité volon­taire, ac­complie dans cer­taines li­mites fixées de temps et de lieu, suivant une règle li­bre­ment con­sen­tie mais com­plète­ment im­périeuse, pour­vue d’une fin en soi, ac­compagnée d’un sen­ti­ment de tens­ion et de joie, et d’une con­sci­ence, d’« être aut­re­ment » que la « vie co­uran­te » (Huizin­ga, 1951)

Le jeu se caractér­ise donc par la présence con­join­te de la li­berté et de la règle, ce qui con­duit le chas­seur con­tem­porain à résumer ainsi son collègue : « Le jeu est l’in­ven­tion d’une li­berté par et dans une légalité » ; j’achève le safari en complétant moi-même la galerie des trophées : « il con­stitue un uni­v­ers autre et uni­que ».

Là j’aurais pu vous faire grâce et pass­er à la cérémonie, si vous n’en pouvez plus, pas­sez les para­grap­hes suivants et grig­notez di­rect le bonus de fin, mais moi j’adore :

« Aux petits in­diens, au casino, dans les jeux de rôles, au Go, il se passe quel­que chose qui n’exis­te nulle part ail­leurs (ce qui ex­plique la fas­cina­tion des roman­ci­ers pour le monde du jeu) qui est que celui qui entre dans le monde du jeu ab­an­donne sa li­berté à l’entrée, pour la troqu­er con­tre la légaliberté pro­duite par la légalité ludique. »

« La règle fon­datrice pro­duit la clôture ludique, qui définit un temps et un es­pace clos : par là, le jeu peut ap­paraître comme créant, à l’intérieur de la vie co­uran­te et avec sa matière même, un monde à part, dedans-dehors, qui est un des éléments fas­cinants du phénomène ludique. »

(Oui, femme d’An­toine qui mérite toute notre com­pass­ion, à une cer­taine période de l’année, ton mari prend le Star­gate et de­meure bien « Ail­leurs », en par­tance pour l’Aleph.)

Car c’est nous tous, pêcheurs an­onymes, que je retro­uve, et ces ex­plica­tions an­ob­lissent con­sidérab­le­ment les si nombreux mo­ments co­up­ables passés à fouin­er dans un tab­leau de stats, les plaisirs fur­tifs, et hon­teux, du voyeuris­me et délit de prise de notes sur les de­rni­ers résul­tats, la main déroulant le menu « play­ing ac­tiv­ity » au grand bor­del d’atpworldtour.com !

La peur co­up­able d’être sur­pris en flag­rant délit de futilité par un en­tourage choqué, réprobateur, con­sterné !

Nous som­mes for­mid­ables !

Car :

« La règle d’un jeu est générat­rice d’une struc­ture (l’arbre d’ac­tions pos­sible) qui per­met de for­malis­er l’agir « ration­nel ». L’in­tellig­ence ludique peut être alors an­alys­ée comme une apprécia­tion de ten­dances. On peut alors réin­terprét­er l’agir ludique à l’aide des cat­égo­ries de la philosop­hie clas­sique, sous le thème de la prud­ence. La con­duite ludique s’avère être un type par­ticuli­er de con­duite pruden­tiel­le dans ces struc­tures à pro­duire du ris­que que sont les jeux : les règles pro­duisent un es­pace d’indéter­mina­tion dans lequel la légaliberté trouve son lieu d’exer­cice. »

Pan ! Pre­nds ça !

A ce mo­ment de la plaidoirie, c’est le mo­ment de gliss­er quel­ques al­lus­ions lit­téraires à cer­tains chef-d’œuvres recréant la tens­ion de cette « clôture tem­porel­le » (du tour­noi) : temps ramassé dans « Le Joueur » de Dostoïevski, « Le Joueur d’échecs » ou « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » de Zweig. J’ai adoré ces bouquins !

Et pour les en­tourages puritains qui voud­raient in­troduire des hié­rarch­ies au Royaume du jeu, dénigr­er (les raisons ne man­quent pas), les jeux basés sur la com­péti­tion :

« Dans les jeux de con­curr­ence et de con­flit, ce contra­t ludique prend tout son sens : il dit la création de deux légalibertés ad­verses, dont chacune a pour con­di­tion de sur­vie dans le jeu l’élimina­tion de l’autre. C’est que le jeu crée chaque légaliberté comme un con­atus spinozis­te : volonté de persévérer dans son être et d’aug­ment­er sa puis­sance d’agir. »

Han ! Spinoza nous soutient, mec !

L’auteur traduit en­suite :

« Les jeux de con­curr­ence sont des jeux dans les­quels la règle or­gan­ise un con­flit des puis­sances d’agir tel que chaque joueur ne peut persévérer dans son être ludique qu’en réduisant celle de l’autre. »

Ainsi,

« Tout ce qui accroît la puis­sance d’agir de notre légaliberté dans le jeu nous réjouit. »

La bouc­le est bouclée, le débat épuisé.

Nous pro­nos­tiquons à qui mieux mieux pour jouer plus longtemps. Nous jouons pour jouer en­core, et toujours.

Le statut de spec­tateur engagé im­plique un choix, un parti-pris dans la par­tie. Notre joueur-substitut, pour con­tinu­er à jouer, doit réduire la légaliberté de l’ad­versaire, et en an­alysant les for­ces en présence, nous re­présen­tons une stratégie, nous mobilisons nos « for­ces pruden­tiel­les » ! Bien pro­nos­tiqu­er, c’est con­tinu­er la par­tie, et s’épargn­er la petite mort d’un « game over, play again ? » Hé oui, le « dur désir de durer » (Eluard) nous anime….

Et main­tenant… « On fait un jeu ? On di­rait que… Feder­er, Djokovic et Mur­ray sont dans un bateau… » A vos pro­nos !

*** en bonus, je vous pro­pose de découv­rir une pub pokerstars im­pliquant cer­tain ten­nisman en ac­tivité.

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Avocate at­titrée de Ric­hard Gas­quet sur 15LOVE (SAUVEZ les bébés phoques !) et Thiemolâtre irrécupérable. Que le Re­v­ers à Une Main soit avec toi.

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195 Responses to US Open 2012 : faites vos jeux !

  1. Jérôme 2 septembre 2012 at 22:12

    Et voilà. Mayer s’est accroché dans les 2 derniers sets, et en particulier à la fin du 3ème où il a sauvé 2 balles de match et poussé Delpo loin dans le tie-break. Mais la tour de Tandil passe en 3 sets pour les huitièmes de finale.

    De son côté, Dolgo ne passe décidément pas le cap face à un Wawa nettement plus puissant.

  2. Nath 2 septembre 2012 at 22:32

    Break Roddick à 3 partout, je n’étais pas franchement rassurée. Il lui reste encore 2 jeux de service à assurer.

  3. fieldog (vainqueur Odyssée 2010 et RYSC 2012) 2 septembre 2012 at 22:41

    Assez étonnamment le Fed-Fish de demain n’est pas programmé en night session…
    Tant mieux ça me permettra de regarder le match à une heure décente :)

  4. fieldog (vainqueur Odyssée 2010 et RYSC 2012) 2 septembre 2012 at 22:43

    Bravo Andy ! Et bravo Stan ! 2 résultats qui me font bien plaisir même si Dolgo a tendance à me désespérer depuis un bout de temps…

  5. Nath 2 septembre 2012 at 23:38

    Purée, Chung est arrivé ! Il est dans le tableau junior du tournoi ! La prédiction d’Ulysse va prendre forme ! Tous aux abris !!!

    • Ulysse 3 septembre 2012 at 20:14

      Quelle mémoire Nath !
      Je n’avais néanmoins pas prévu qu’il se prénomerait Hyeon…

  6. Colin 3 septembre 2012 at 01:17

    Match pépère pour Gasquet, qui arrive en huitième sans avoir joué un seul adversaire dans le Top100! (m’enfin, la faute à Melzer, Haas et Gulbis, z’avaient qu’à être là ces trois nazes!)

    J’ai pris le match à 6-6 0-4 pour voir Gasquet aligner 7 points dans le tie-break… Puis 7 jeux à partir de 1-2 dans le 2ème set.

    Johnson est un peu le genre chien fou, « je cogne sur tout ce qui bouge et ça passe ou ça casse », un Gulbis-bis quoi, ou encore genre Matosevic, l’australien qui avait battu justement Gasquet au Queen’s. Cette fois, pour le coup, Richie a fait le job.

    En huitièmes, rendez-vous avec Lord Farquaad.
    Pour passer ce tour, Gasquet devra compter sur une des contingences suivantes:
    - Ferrer se fait tomber une malle sur le talon. Comme il souffre, il se soigne au laser, ce qui ne fait qu’empirer la situation. Il déclare forfait.
    - Ferrer, en traversant la rue, se fait renverser par une voiture. Bilan: un genou brisé, forfait, deux mois d’hôpital. Pendant sa rééducation, il continue à jouer au tennis sur un fauteuil roulant. A son retour (dans 6 mois) il remporte Monte-Carlo et Barcelone en battant à chaque fois Nadal en 2 sets, mais attendra 2015 pour gagner son premier et unique Roland-Garros.
    - Ferrer se fait allumer en boîte de nuit par une pétasse cocaïnomane et lui roule une pelle. Mal lui en prend, contrôle positif juste avant son match contre Gasquet, exclusion du tournoi, un an de suspension.
    - Ferrer chope des ampoules à tous les doigts de la main gauche, l’obligeant à jouer pendant tout le match ses revers à une main. Ceux-ci atterrissent tous dans le filet ou dans les bâches. Défaite.
    - Ferrer, qui loge au Novotel, tombe sur Nafissatou Diallo en sortant de sa douche, et hum… je vous passe la suite. Garde à vue, incarcération… Forfait.
    - L’entourage de Gasquet fait rentrer un chat noir sur le court pendant l’échauffement. Superstitieux, Ferrer perd tout ses moyens et déjoue. Défaite.
    - Au milieu du premier set, Ferrer se fait une entorse à la cheville gauche. A la fin du deuxième set, il se fait une contracture aux ischio-jambiers gauches. Au milieu du troisième set, élongation aux adducteurs de la jambe droite. Au début du quatrième set, fracture de fatigue du poignet gauche. Au milieu du cinquième set, crampes. A 5-3 au tie-break du cinquième set, sur un smash, entorse de l’épaule droite. Abandon.

    • Jérôme 3 septembre 2012 at 08:16

      :lol: :lol: :lol:

    • Skvorecky 3 septembre 2012 at 09:40

      MDR !!

    • Patricia 3 septembre 2012 at 14:52

      - Un membre de l’entourage de Richard confie à Ferrer une confidence de Nadal : Ferrer a été son véritable modèle et mentor. Syncope, abandon.
      - Nadal envoie un texto à Ferrer ; en son absence, il compte sur lui pour punir Djokovic, humilier Federer et prouver que les espagnols savent jouer sur dur. Rupture d’anévrisme, funérailles à Majorque.
      - il perd la médaille de la vierge qui l’accompagne depuis sa 1ère demi/ finale cadet, devant toute la famille à Madrid ; convaincu qu’il doit son succès à sa fidélité en la Madone, il retourne tout l’hotel pour la retrouver. Il se présente 25 minutes après sa défaite par forfait.

    • MarieJo 3 septembre 2012 at 14:55

      cultissime !
      :lol:

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