Quand Ivan rime avec ciment (1/3)

By  | 10 septembre 2012 | Filed under: Histoire

Ivan aime New York et l’Amérique le lui rend bien. Le riant Tchèque fut non seule­ment fin­alis­te neuf fois de suite au Madison Square Gard­en, mais dis­puta sur­tout huit fin­ales con­sécutives à Flush­ing Meadows (pour trois tit­res). Re­tour sur son par­cours lors de ces huit édi­tions.

  • 1982-1984: le temps des pilules amères…

Quand débute l’US Open 1982, Ivan Lendl est le dominateur de la saison. Avec son jeu ex­plosif basé sur la puis­sance débor­dante de son coup droit, il a déjà re­mporté 11 tour­nois (il en re­mpor­tera 15 au total cette année-là) et a réalisé une série im­pres­sion­nante de 44 vic­toires con­sécutives. Man­que de bol pour lui, il n’a pas connu le même succès en Majeurs, ayant été éliminé dès les huitièmes à Roland-Garros par Wiland­er, et fait en­suite l’im­passe sur Wimbledon. Autant dire qu’il ab­or­de l’US Open avec la ferme in­ten­tion d’y re­mport­er son pre­mi­er Grand chelem et de con­firm­er qu’il est bien le nouveau boss du cir­cuit, un an après la re­traite de Borg. Les seuls ob­stac­les sur sa route vers la gloire sont les jumeaux gauch­ers en­nemis, McEn­roe et Con­nors, qui se sont par­tagés les tit­res de­puis le déménage­ment de l’US Open à Flush­ing Meadows. Cepen­dant on doute de leur capacité à con­trecarr­er Lendl: ce de­rni­er reste sur une série de 5 vic­toires con­sécutives con­tre McEn­roe (dont la dernière à Toron­to, 6/4 6/4) et vient de re­fil­er un cuisant 6/1 6/1 à Con­nors à Cin­cinnati. Il humiliera aussi Con­nors lors d’une sess­ion d’entraine­ment avant le début du tour­noi, se moquant de manière à peine voilée de l’Américain. Il ne sait ap­parem­ment pas qu’il ne faut jamais heurt­er l’ego sur­dimen­sionné d’un fauve aux abois.

A part une gros­se frayeur au deuxième tour face à Tim Mayot­te, qui mène 2 sets à 1 et se retro­uve à 3 points du match au tie-break (score final 6/4 3/6 4/6 7/6 6/4), Lendl démolit lit­térale­ment tous ses ad­versaires (y com­pris son bour­reau de Roland-Garros, Mats Wiland­er, qui ne lui prend que 6 jeux lors d’un match qui tour­ne carrément au car­nage tel­le­ment Lendl est débor­dant de puis­sance) pour at­teindre aisément les de­m­ies où l’at­tend McEn­roe, n°1 mon­di­al et tri­ple tenant du titre. Là en­core, le match tour­ne à la bouc­herie : foud­royant en re­tour, impérial en pass­ing shots, Lendl crucifie un McEn­roe com­plète­ment désabusé qui ne sait plus quoi faire pour re­ntr­er dans le match. Une statis­tique montre l’ampleur du désar­roi de McEn­roe face à la force brute d’Ivan: l’Américain n’a pas suivi au filet 30% de ses secon­des bal­les de ser­vice (16 sur 53) ! Cela montre à quel point les re­tours de ser­vice du Tchèque firent mouc­he ce jour-là, sur­tout dans la psyché de John.

Après cette démonstra­tion de­structrice (si on ex­clut le match con­tre Mayot­te, Lendl n’a perdu aucun set et a ab­an­donné seule­ment 43 jeux en 5 matchs), le seul enjeu con­sis­tait à de­vin­er le nombre de jeux que le vieux Con­nors al­lait mar­qu­er en fin­ale. Et pour­tant… Lendl ne semblait pas réalis­er qu’il était de­venu la cible de Con­nors de­puis cette humilian­te sess­ion d’entraî­ne­ment. Sa déclara­tion après le match con­tre McEn­roe n’améliora en rien la situa­tion. Au jour­nalis­te lui de­man­dant ce qu’il pen­sait de la fu­ture fin­ale face à Jimmy il répon­dit de façon laconique: « Ah bon, il a gagné [nda: en demie face à Vilas] ? »

Ayant fait trésor des rous­tes reçues durant les­quel­les il a con­stam­ment été débordé et hors tempo, Con­nors avait préparé un plan de batail­le audacieux et adapté à son tempéra­ment de guer­ri­er des co­urts. La tac­tique était d’ag­ress­er con­tinuel­le­ment Lendl, mais en se focalisant de façon in­sis­tante sur le point fort du Tchèque, ce coup droit ravageur qui tétanisait le cir­cuit. Con­nors synthétisa cette stratégie de la manière suivan­te: « When you break a player’s strength down, you break him down. Tomor­row, that’s what I’m going to do against Lendl. I’m going to break down that forehand that every­body’s been talk­ing about. When I break it down, we’ll see how good he is”. Et c’est ce qu’il fit en dominant com­plète­ment Lendl lors des deux pre­mi­ers sets. Com­plète­ment débordé sur ses ap­puis à cause de l’ag­ressivité de l’Américain, Ivan ne réussit pas à mettre en place son jeu dévas­tateur, ne trouvant souvent pas le bon tempo pour plac­er ses coups droits ravageurs. Appuyé par un ser­vice en verve (qui avait déjà lar­ge­ment con­tribué à sa récente vic­toire à Wimbledon), après la perte du troisiè­me set Con­nors com­prit qu’il de­vait aug­ment­er en­core plus la pre­ss­ion sur Lendl sous peine de le voir re­venir dans le match. Il se mit à multi­pli­er les montées au filet et ter­rassa fin­ale­ment Ivan sur le score de 6/3 6/2 4/6 6/4.

Tan­dis que l’Américain savourait son tri­omph­al re­tour à la première place mon­diale, Lendl venait d’apprendre une amère leçon : on ne se moque pas impunément d’un vieux lion, qui plus est quand il joue dans son antre…

Un an plus tard, la donne a changé. McEn­roe est de nouveau sur le toit du monde suite à sa vic­toire à Wimbledon, Lendl déçoit toujours en Majeurs, tan­dis que Con­nors semble en perte de vites­se (éli­mina­tion en quarts à Roland-Garros face à Roger-Vasselin et en huitièmes à Wimbledon face à Curr­en). Big Mac est le grand favori de l’US Open mais, à la sur­pr­ise générale, dis­parait dès les huitièmes face à Bill Scan­lon, lais­sant la voie libre à ses deux rivaux qui se retro­uveront en fin­ale pour la re­vanche de 1982.

Comme en 1982, Lendl est le grand favori. Il a en­core humilié Con­nors aussi bien en tour­noi (6/1 6/3 à Montréal) qu’en en­traî­ne­ment avant le début du tour­noi, en ser­vant et re­tour­nant le feu (décidément, le Tchèque n’a toujours pas appris la leçon). De plus, il a été en­core plus im­pitoy­able qu’en 1982 pour at­teindre la fin­ale : aucun set perdu pour 44 jeux ab­an­donnés en 6 matchs (7,3 jeux par match) ! Le début de la fin­ale con­fir­me cette im­press­ion, tant Lendl prend claire­ment l’as­cendant à par­tir du deuxième set malgré la résis­tance de Jimbo. Au troisiè­me, il a une balle de deux sets à un à 5-4 sur son ser­vice. Quasi­ment une balle de match. Et c’est à ce mo­ment précis que se con­fir­me véritab­le­ment la légende du chick­en Lendl. Alors qu’il a le match en main, Ivan craque et réalise une doub­le faute. Con­nors sent l’odeur du sang et sait que pareil­le oc­cas­ion ne se présen­tera plus. Il jette tout ce qu’il a dans le ventre pour débreak­er. En fait, le match vient de se ter­min­er. Lendl ne mar­que plus le moindre jeu et s’incline 6/3 6/7 7/5 6/0. L’im­pens­able s’est pro­duit à nouveau, Jimbo con­ser­ve son titre à l’US Open. Plus in­croy­able en­core, il est modes­te dans la vic­toire. Pas d’exul­ta­tions à la Con­nors, juste un humble bras levé en signe de vic­toire.

Ce qu’on ne sait pas, c’est que Con­nors est sérieuse­ment blessé à l’or­teil et joue de­puis plusieurs jours sous in­filtra­tion. Le matin de la fin­ale, la douleur est tel­le­ment forte qu’elle l’empêche de s’entraîner et co­urir. Pour pouvoir jouer, il a re­cours à une in­jec­tion de xylocaine avant le début du match, mais le problème est que l’effet anti-dolorifique ne dure que 90 minutes. Au début du troisiè­me set, on note que Con­nors boîte lour­de­ment. Il de­man­de un break pour pause toilet­te (« J’ai eu une at­taque de di­arrhée » dira-t-il lors de la conférence de pre­sse) mais en réalité, con­trevenant au règle­ment, Jimbo est allé se faire une deuxième in­jec­tion pour lui per­mettre de pour­suiv­re la re­ncontre. Vu le temps pris par Jimmy pour sa « pause pipi », Lendl sent bien qu’il y a an­guil­le sous roche et pre­sse le super­viseur d’aller voir ce qui se passe. Celui-ci sur­prend Con­nors en pleine in­jec­tion et entre dans une colère noire, menaçant le médecin de per­dre sa li­c­ence. Cepen­dant, il décida de ne pas sus­pendre le match et per­mit à Con­nors de re­tourn­er sur le court. On con­nait la suite…

En 1984, McEn­roe sur­vole la planète ten­nis. Il ar­rive à l’US Open avec seule­ment deux défaites au com­pteur de­puis le début de la saison. Mal­heureuse­ment pour lui, une de ses deux défaites a lieu lors de la fin­ale de RG où super-chicken Lendl re­mpor­te enfin son pre­mi­er titre majeur. On croit le tchèque fin­ale­ment libéré de la pre­ss­ion mais on se trom­pe. A Wimbledon, il s’incline une nouvel­le fois face au vieux Con­nors alors qu’il avait le match en main. Pire en­core, il s’incline au pre­mi­er de tour du tour­noi de Toron­to (son seul tour­noi de prépara­tion) face à l’obscur Fran­cisco Gon­zales, 91ème mon­di­al. Malgré ces décon­venues, il fait par­tie des favoris du tour­noi américain. De plus, le sort a mis McEn­roe et Con­nors du même côté du tab­leau, si bien qu’Ivan n’aura à affront­er aucun des deux avant la fin­ale. Son par­cours jusqu’en demie est comme d’habitude aisé et son futur ad­versaire, le jeune Pat Cash, ne semble pas en mesure de l’inquiéter sérieuse­ment. On pense qu’il fera tout au plus un bon match, comme celui livré en demie de Wimbledon face à McEn­roe. Et pour­tant, à la sur­pr­ise générale le match sera éblouis­sant. Etin­celant au filet et au ser­vice, Pat Cash réussit à pouss­er à Lendl au 5ème set. Le tchèque ob­tient plusieurs bal­les de match sur le ser­vice de l’Aus­sie, mais n’ar­rive pas à les concrétiser. Pire, il se fit break­er à 5-5 et voit Cash ser­vir pour le match! A 40-30, Pat ob­tient sa première balle de match. Il sert extérieur sur le re­v­ers de Lendl qui réussit un bon re­tour croisé. Mais tel un lynx, Cash est déjà au filet pour déposer une belle volée pro­fon­de dans le côté droit du court. Tout le monde voit le match déjà fini mais c’est sans com­pt­er sur la ténacité d’Ivan: en bout de co­ur­se, il réussit à faire un in­croy­able lob défen­sif qui finit sur la ligne de fond court! Loin de se démont­er, Cash passe un ace…ou du moins le croit-il. L’ar­bitre an­non­ce (pro­bab­le­ment à tort) la balle faute! Hors de lui, l’australi­en se décon­centre et se fait débreak­er dans la foulée. Il per­dra fin­ale­ment le match au tie break (3-6, 6-3, 6-4, 6-7, 7-6). Ivan ne sait pas en­core qu’un cer­tain di­manche de juil­let 1987, l’australi­en pre­ndra sa re­vanche…

L’autre demie-finale est tout aussi com­bat­tue, et McEn­roe n’élimine Con­nors qu’au bout de la nuit après cinq sets de joute ac­harnée (6-4, 4-6, 7-5, 4-6, 6-3). Mac est tel­le­ment éprouvé physique­ment qu’il pense n’avoir aucune chan­ce pour la fin­ale. Mais, selon ses dires, c’est dans les ves­tiaires qu’il com­prit que le match ne pouvait lui échapp­er: « j’étais com­plète­ment vidé et me de­man­dais com­ment j’al­lais pouvoir affront­er ce match. C’est alors que j’ai vu Lendl s’échauff­er et tent­er de touch­er le bout de ses pieds. En fait il ar­rivait à gran­de peine à dépass­er ses genoux et je com­pris qu’il était plus cuit que moi physique­ment. Le voir dans cet état me fit l’effet d’une piqure d’adrénaline. Deux heures de bon ten­nis de ma part suf­firaient pour le battre. Je suis resté con­centré comme jamais et me suis retro­uvé à mener 2 sets à 0. Le souvenir de RG me hanta à ce mo­ment. Mais cela ne fit que décupl­er en­core plus mon éner­gie. Il était hors de ques­tion que je perde à nouveau. Je fis un pre­mi­er break mais cela ne me suf­fisait pas, j’en fit un autre pour mener 4-0. Contra­ire­ment à 1983 Lendl ne bais­sa pas les bras mais son re­tard était désor­mais im­pos­sible à re­mont­er. J’ai fin­ale­ment gagné 6-3, 6-4, 6-1« .

Malgré sa première vic­toire en majeur, les choses ne semblaient pas be­aucoup chang­er pour Lendl. Sa série noire con­tinuait: 5 fin­ales de majeur per­dues, dont trois con­sécutives à l’USO. On pouvait sans hésiter af­firm­er que pour le mo­ment Ivan se pre­nait le ci­ment dans les dents….

Pro­chain épisode (2/3) : Le rideau de fer

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325 Responses to Quand Ivan rime avec ciment (1/3)

  1. Alex 13 septembre 2012 at 12:11
  2. Jérôme 13 septembre 2012 at 23:15

    Patricia, je pense que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Et je pense qu’à 25 ans, Murray a peu ou prou fini de progresser. Il peut faire évoluer ceci ou cela, mais la plupart du temps ce sont plutôt des évolutions qui font qu’on devient un peu meilleur sur un aspect de son jeu alors qu’on devient un chouia moins bon sur un autre aspect de son jeu.

    C’est comme avec Nadal dont le service a progressé mais dont le revers est moins régulier et moins solide qu’il était sur 2008/2010, ou encore Federer dont le revers est plus solide mais dont le coup droit est moins tonitruant et les déplacements un petit peu moins fulgurants.

    Murray, ça y est : il l’a faite sa progression en coup droit. Ca fait déjà quelques années qu’il est au top de sa forme et de son tennis.

    Renaud, tu le relèves toi-même : ta projection est linéaire. C’est comme si, en nous plaçant fin 1989, nous disions que pour les 3 années à venir, il n’y avait que Becker, Edberg et Lendl pour rafler encore des tournois du GC, que Lendl allait en rafler seulement encore 2, que Becker allait en prendre 6 ou 7 et dominer le tennis mondial pendant les 3/4 années à venir, et qu’Edberg allait être son brillant second et en gagner encore 3 ou 4.

    Eh oui, mais la réalité ça a été qu’en 1990/91 a débarqué une véritable tornade de changement avec les Sampras, Agassi, Ivanisevic, Courier qui parviennent au top.

    Moi je pense que, compte tenu de l’âge qu’ont déjà Nadal, Djoko et Murray, et du fait que ça fait un bon paquet d’années qu’ils sont au top, l’hypothèse de la linéarité est vraiment très très improbable.

    La période de stabilité, elle a eu lieu et elle touche à mon avis à sa fin. Depuis 2008, soit 4 années pleines, on a eu un top 4 exceptionnellement stable, une stabilité telle qu’on n’en avait pas connue depuis 30 ans dans le tennis. La notion si utilisée de Big Four n’a pas été créée aujourd’hui comme prévision pour les années à venir : elle a été forgée rétrospectivement au vu de cette remarquable stabilité du top 4 qui truste quasiment tous les titres dans les gros tournois (GC, Masters et M1000) depuis 4 ans.

    Murray a perdu beaucoup d’occasions de gagner des grands titres parce qu’il a eu à faire face à une concurrence exceptionnelle (Federer, Nadal et Djoko) et qu’il était moins bien armé mentalement mais aussi tactiquement (son attitude naturellement trop attentiste avec les cadors, sauf quelques exceptions). Et les occasions perdues ne se rattrappent pas.

    Peut-être que dans une autre période, où la concurrence aurait été un peu moins forte, comme par exemple sur la période 1998-2003, Murray aurait déjà raflé 4 titres du GC à 25 ans. Car oui, il a les qualités pour faire un grand champion. Mais comme il a eu à faire face à des champions d’exception, ces titres qui auraient pu être siens dans une uchronie ne l’ont pas été et ne le seront pas.

    Il lui reste encore quelques belles années, mais une bonne partie de ses plus belles années n’auront pas été aussi riches que ce que certains lui promettaient sur le papier.

  3. Le concombre masqué 14 septembre 2012 at 00:56

    Le concombre travaille 12h par jour depuis 2 mois et n’a plus accès à 15 lové depuis son taf…dur dur de poster mais la CC devrait avoir un update avant fin octobre…

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