La douleur du champion (3/3)

By  | 14 mai 2012 | Filed under: Histoire

New York, Flush­ing Meadows, 4 sep­tembre 1996.

New York n’est pas l’Australie, pour­tant cer­tains jours la chaleur doublée d’humidité vous y étouf­fe. C’est précisément dans ce climat que Pete Sampras et Alex Cor­ret­ja en­ta­ment leur quart de fin­ale de l’US Open aux en­virons de 4 heures de l’après-midi ce 4 sep­tembre 1996. A priori rien n’annonçait qu’on al­lait vivre un mo­ment d’anthologie. Et pour­tant..

« Le pub­lic a vu ajourd’hui sur le court plus d’émo­tion que be­aucoup n’en ver­ront de toute leur vie » dira le len­demain Paul An­nacone, entraîneur de Sampras. Car en plus du climat lourd, l’Américain a en face de lui un Es­pagnol en état de grâce. Cor­ret­ja réussit ce jour-là le match de sa vie. Il réalise deux breaks cruciaux au onzième jeu du deuxième et du troisiè­me set et s’offre la pos­sibilité de dis­put­er une cin­quiè­me man­che. Mais sur­tout, il est par­venu à sor­tir Sampras de son schéma de jeu habituel. En de­hors des premières bal­les de l’Américain, chaque point se gagne à l’ar­raché, sur des échan­ges longs et dis­putés. Et non seule­ment Cor­ret­ja fait jeu égal, mais il a sur­tout plus de jam­bes.

Si bien qu’arrivé au cin­quiè­me set, Sampras n’en a plus, lui, de jam­bes. En fait, dès le quat­rième set, ses voyants pas­sent à l’oran­ge. Quand il réussit le break décisif, on voit son poing se serr­er et puis se relâcher tout de suite, comme s’il n’avait plu la force de le mont­er au ciel. Au chan­ge­ment de côté, il s’écroule sur sa cha­ise, lançant une vague d’inquiétude dans les tri­bunes du Louis Armstrong Stadium. Deux jeux plus tard, un médecin vient lui ad­ministr­er des médica­ments. Le cin­quiè­me set com­m­ence et Sampras est déjà au bord du gouffre.

Ce cin­quiè­me set est une ter­rible lutte con­tre la fatigue autant que con­tre l’Es­pagnol. L’Américain flageole après chaque point, se con­centre sur sa première balle et décoche des ser­vices à 200 km/h. Le chaud et le froid soufflent sur Flush­ing Meadows, mais Sampras, poussé par 23 000 spec­tateurs et une première balle qui passe en­core et toujours, reste miraculeuse­ment dans le match. Jusqu’au tieb­reak.

A ce mo­ment les joueurs sont sur le court de­puis quat­re heures. Sampras de­puis près d’une heure puise dans ses réser­ves. Mais cette fois, il est allé trop loin. A un par­tout dans le tieb­reak et après un nouvel échan­ge physique­ment épouvant­able emmené par ce di­able in­crev­able de Cor­ret­ja, Pete déam­bule à moitié K.O. vers le coin du court. Il se penche en avant et est pris de vomis­se­ments. Per­son­ne ne com­prend vrai­ment ce qu’il se passe. L’ar­bitre pro­pose une pause médicale à Sampras, et à vrai dire le match semble ter­miné, car l’Américain a be­soin de soins ur­gents. Il est vic­time de déshyd­rata­tion et est en train de vomir le peu d’eau qu’il reste dans son corps.

La suite des évène­ments est de l’ordre de la science-fiction. Pâle, li­vide, af­fichant un visage cadavérique, Sampras re­vient len­te­ment sur le court et se position­ne derrière la ligne de fond pour ser­vir. En face l’Es­pagnol, in­ter­loqué, tel un boxeur qui n’ose plus frapp­er un ad­versaire mourant, se de­man­de ce qu’il doit faire. Quel­ques secon­des in­vraisembl­ables pas­sent. Et Sampras sert. Le jeu re­prend dans une am­bian­ce in­descrip­tible. Irréelle. Le pub­lic ne sait plus ce qu’il est en train de vivre : l’agonie en di­rect du Numéro 1 mon­di­al ou l’exploit du siècle. On craint le pire mais on applaudit le co­urage.

Le niveau de jeu à cet in­stant n’a plus rien d’extraor­dinaire, mais peu im­por­te. Le spec­tacle du Numéro 1 mon­di­al se bat­tant con­tre son corps pour es­say­er d’aller au bout est fas­cinant. En vain. 7/6 dans le tieb­reak, et balle de match pour Cor­ret­ja. Sampras arme une dernière fois sa mise en jeu, et seul un ace semble pouvoir le sauv­er. Tout Flush­ing re­tient son souffle dans l’es­poir d’un ser­vice gag­nant. Sil­ence total. La première passe. Et Cor­ret­ja re­tour­ne, l’échan­ge s’en­gage. L’Américain se rue au filet, mais il est lent et approximatif. L’Es­pagnol va tirer un pass­ing qui doit être gag­nant. Il est croisé et plon­geant, et à vrai dire quasi par­fait. Sampras anti­cipe et réussit une volée basse claquée de coup droit en ex­tens­ion. Et gag­nante. A n’im­porte quel mo­ment du match, ce coup aurait été un ex­ploit physique et tech­nique. A cet in­stant, c’est un mirac­le. Sampras re­vient de parmi les morts. Il n’a plus de force mais n’en a plus be­soin. Un ace en secon­de balle et une doub­le faute de Cor­ret­ja lui offre une vic­toire im­pos­sible.

Dès l’ac­colade entre les joueurs ter­minée, le staff médical de Flush­ing en­toure le champ­ion américain. Il quit­te le court en urg­ence, ac­compagné de médecins, sans lâcher sa raquet­te. Dès sa sor­tie du stade il est mis sous in­traveineuse pour se réhyd­rat­er. Une fois de plus, on croit qu’il ne s’en re­mettra pas. Quel­ques jours plus tard, il re­mpor­te son quat­rième US Open.

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333 Responses to La douleur du champion (3/3)

  1. MarieJo 17 mai 2012 at 18:37

    gasquet murray c’était pas tjrs beau à voir, mais pour qques volées et revers long de ligne de richard c’est tjrs bon à prendre, mais battre murray sur terre c’est pas l’exploit du siècle non plus vu le niveau de jeu affiché depuis qques semaines

  2. Djita 17 mai 2012 at 18:52

    Il l’a fait! Bravo Gasquette.
    Rome lui réussit plutôt bien.

  3. Jérôme 17 mai 2012 at 19:25

    Je n’ai pas vu le match mais seulement suivi par intermittences le score.

    Quel PZ ce Murray ! :lol: Il a trouvé le moyen de perdre.

    Faudrait imaginer un sketch où Djokovic, Federer et Nadal sont tous les trois à faire des blagues sur Murray et à se prendre une crise de fou-rire.

    • Pat 17 mai 2012 at 20:41

      Ce n’est quand même pas une si grosse surprise : il n’y a pas si longtemps, Gasquet menait 2 sets à rien contre Murray à RG et à Rome l’an dernier, Gasquet a battu Federer.

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