Un revers sans revers

By  | 6 novembre 2009 | Filed under: Insolite

Simone Bolelli, Roland-Garros 2009 (photo Guillaume)« Le mauvais chas­seur, l’vian­dard, il voit une bête, il tire… Le bon chas­seur lui, bon il tire… mais c’est un bon chas­seur. » Les In­con­nus.

« Pre­ndre le re­v­ers à re­v­ers », « Re­v­ers réver­sible », « Vive les re­v­ers », je ne sais quel­le drôlerie en­core aurait pu in­titul­er cet essai sur la bonne façon de jouer le re­v­ers. Pro­blématique sim­ple, séculaire ou sans réponse inhérente à ce coup : une ou deux mains ?

Si vous n’êtes pas un fanatique de la bran­lette technico-tactique pro­pre à ce type de sujet, genre prépa CAPEPS – chemiset­te re­passée – air docte – FF, pas­sez votre chemin, y’a rien à voir. Stop. Il est peu pro­b­able d’ail­leurs que la réponse jail­lisse de ce calumet vir­tuel, malgré une plume qui tente de re­st­er vive et al­er­te. On est bien d’ac­cord, la pêche à la ligne dans les Côtes d’Armor c’est be­aucoup plus sympa.

La faute re­vient à mon collègue Pablo qui m’a suggéré ce thème avec sa sen­t­ence « Nadal est fini, il ne retro­uvera pas son physique, sans ça c’est un joueur norm­al ». Jusque-là on est d’ac­cord, ça casse pas trois pat­tes à un canard sa re­mar­que, sur­tout venant d’un Por­tugais qui vomit naturel­le­ment tout ce qui vient du voisin ibère. Mais le boug­re ajoute, « Il joue son re­v­ers à deux mains, il n’a pas de sécurité. Per­son­ne n’a dominé longtemps avec un re­v­ers à deux mains : Feder­er, Sampras, Lendl, une main ». Et de con­tinu­er fier de sa cer­titude et de mon ig­noran­ce « Sampras jouait le re­v­ers à deux mains jusqu’en junior… »

Me voilà scotché. Moi, toujours pro­mpt à im­pos­er mes doc­tes vues sur l’ines­sentiel­le ou es­sentiel­le in­es­senten­tiel­le c’est selon, chose ten­nis, me voilà sans réponse. « J’y avais pas pensé à celle-là », me dis-je en moi-même. C’est donc que la re­mar­que doit être per­tinen­te. Je réalisais après coup que Borg et les années 1970 ne pouvait être con­sidéré que comme une belle ex­cep­tion sur­année, une prémisse de moder­nité n’ayant pas vrai­ment valeur de contre-exemple. Même notre Fab­rice San­toro pre­mi­er numéro 1 à la Race, en jan­vi­er 2000, ne par­vint pas à gard­er son trône plus de sept jours. La faute à son jeu, chiant comme 20 ans de pluie di­ront les vilaines lan­gues, à deux mains sur tous les coups sauf au ser­vice ? San­toro et Nadal, même symptôme ?

Fi de galéjades, comme on n’est jamais mieux servi que par son pro­pre re­v­ers, j’ai donc décidé de test­er les deux. Le mien éter­nelle­ment à une main, quel­conque, joué avec ou sans ef­fets, comme par ob­liga­tion, comme on prend sa voi­ture pour aller chez un ami, un chemin néces­saire, pour par­venir à la volée ; et le re­v­ers à deux mains que l’on m’avait con­seillé durant mes Années collège, et qui de­vait m’être bénéfique. Jamais je n’avais persévéré avec ce coup, sans trop réfléchir plus avant.

Je n’ai jamais « accroché » au re­v­ers à deux mains en fait. Jamais je ne m’y ferai. Je sais aujourd’hui enfin pour­quoi. Il faut bien quel­que com­pen­sa­tion à l’âge comme on s’en per­suade, et ce sera l’objet de cette di­gress­ion. Saint Eric Can­tona af­firmait dans un ser­mon télévisé, en simplifiant, que le fait d’être at­taquant ou défen­seur au foot­ball était un signe de caractère, pre­sque un révélateur de per­son­nalité. On im­agine pas Henry en tauli­er façon De­schamps, ou Thuram à la place de Zidane. C’est pro­bab­le­ment la même chose en ten­nis.

Pre­nons un joueur de ten­nis au hasard : Yan­nick Noah, demi-siècle le 8 mai pro­chain déjà… et notre spectre nais­sant et im­pens­able qu’il s’en aille sans suc­ces­seur. Il est évident qu’il mérite son titre de plus mauvais re­v­ers de l’his­toire du ten­nis Open, et de loin, pire peut-être que celui de Françoise Durr en 1967. Et après ? Il est tout aussi évident qu’il a égale­ment le plus esthétique de ces 40 dernières années. Pour­quoi ? Parce qu’il kif­fait grave sur chaque montée au filet slicée. Que sa débauc­he d’éner­gie phénoménale était in­ver­se­ment pro­por­tion­nelle à l’ef­ficacité du coup, « qui tend vers 0 », dirait-on en mathématiques, et qu’il en re­deman­dait en plus, malgré tous les con­seils éclairés de­vant l’amen­er vers d’aut­res som­mets.

Bref, pour clore ce vaste sujet et re­venir habile­ment au nôtre ; si le re­v­ers à deux mains est naturel pour un jeune ou frêle en­fant du fait du poids de la raquet­te et de la balle, cela de­vient de la tor­ture men­tale passée l’âge de raison. Ou du moins une re­la­tion contre-nature que le joueur s’im­pose, quelque-chose de masoc­histe. Tout cela est dif­ficile­ment pro­uv­able, mais le plaisir pris, pour l’avoir vu une di­zaine de fois, détesté puis adoré, semble plus grand pour un re­v­ers d’Ed­berg, que pour cent de Nadal, Ver­dasco ou Agas­si. Sim­ple im­press­ion et re­ssen­ti visuel. On im­agine mal un livre d’Ed­berg ou de Yan­nick avec de­dans « Je ne pre­nais aucun plaisir à jouer ».

Je me suis donc réessayé à ce coup récem­ment, « just for fun ». Mes ob­ser­va­tions furent peu ou prou les mêmes qu’avant. Le re­v­ers à deux mains per­met de gagn­er en sécurité voire en ef­ficacité, il est pos­sible de donn­er globale­ment plus de force et d’effet avec un bon place­ment (norm­al vu qu’on cogne avec deux mains au lieu d’une), de détruire len­te­ment et sûre­ment l’ad­versaire. Cepen­dant, même si toutes les con­di­tions avaient été réunies (le père d’Agas­si et la maman de Con­nors par ex­em­ple), il est fort peu pro­b­able de l’avis même de l’intéressé que j’al­lais domin­er durab­le­ment le jeu. Et l’ef­ficacité gagnée aurait-elle com­pensée la perte de plaisir ? La re­mar­que de Pablo s’ad­resse à un nombre limité d’in­dividus.

Chaque joueur du di­manche en club peut se de­mand­er ce qu’aurait été sa carrière avec ce coup. On va an­alys­er à l’envi et glos­er les re­mar­ques dudit Pablo. On les trouvera globale­ment vra­ies. Pour domin­er durab­le­ment, il vaut mieux tout frapp­er à une main, comme il vaut mieux être assez grand et avoir un physique sol­ide et résis­tant. Dixit M. de La Palis­se him­self. Con­cept philosop­hique daté de 1873, in­carné par Roger F. de­puis 2004.

Au bout de 15 minutes d’approxima­tion, car il faut plus que cela pour « régler un coup », comme on dit dans le jar­gon, j’ai cepen­dant arrêté les frais. Ca ne me faisait plus rire. Cer­tes l’ac­compag­ne­ment de la deuxième main est un atout précieux dans la con­struc­tion du point, le top spin est be­aucoup plus ef­ficace et ravageur, mais qu’est-ce qu’on s’en­nuie. C’est juste une ques­tion de na­ture au fond, on y peut pas grand-chose, à sa na­ture, comme Le Loup et le Chien de La Fon­taine reste loup pour l’un, et chien pour l’autre, sans juge­ment de valeur. Il est fort à pari­er que Noah s’amusait plus sur un court que Borg, Agas­si puis­que c’est d’ac­tualité ou Nadal aujourd’hui, réunis, même s’il sait que la place de numéro 1 était, du moins tem­poraire­ment, à sa portée. Et qu’il ne re­gret­te rien en plus le gredin ! Et nous avec lui !

Et le joueur de club qui écrit préférera toujours bâcher trois re­v­ers sur cinq pour balanc­er sa raquet­te dans le filet car il n’a pas les moyens d’en ac­het­er dix par an, pour connaître le kiffe lui aussi de réussir une belle montée slicée et un passing-shot en bout de co­ur­se, et en re­v­ers.

Pour re­venir à Pablo et au haut niveau, il a globale­ment raison, il faut un jeu académique et donc une cer­taine marge de sécurité pour domin­er durab­le­ment le jeu. Mais cette re­mar­que s’ad­resse à une pro­por­tion assez réduite des joueurs de ten­nis.

Loin de la tech­nique, c’est pour ça qu’on a peut-être aimé un jour le ten­nis, pour le plaisir pre­mi­er, stupide, en­fan­tin et in­compréhen­sible qu’il ne faut pas oub­li­er, de « taper dans une balle ».

Félicita­tions Kris­tian. Aucun re­v­ers.

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64 Responses to Un revers sans revers

  1. karim 8 novembre 2009 at 19:56

    J’ai l’impression également que le Masters perd encore un peu plus de son intérêt, comme chaquée année depuis. On aurait presqu’envie de ressortir les articles de l’an dernier à pareille époque.

    Le revers à une main… c’est LE coup. Comme le dunk au basket. Pas indispensable mais voir Kobe ou LeBron en claquer un magistral, ça restera toujours plus chargé en émotion que voir un joli 3pts.

    Je n’ai jamais eu autant d’idées d’articles, et si peu de temps pour les réaliser. Je vis de moments très difficiles dans la vie d’un forumeur!!!!

  2. Franck-V 8 novembre 2009 at 20:00

    bilan du week end:

    Revers 2 mains : 2
    Revers 1 main : 0

    et revers et coup droit 2 mains : retraite.

    • colin 9 novembre 2009 at 00:08

      Quelle synthèse. Imparable.

  3. Pierre 8 novembre 2009 at 20:27

    Fed faisait un peu pitié aujourd’hui, lâché par son coup droit et incapable de serrer le jeu aux moments importants, une prestation trè très moyenne. En face, en revanche, Djokovic a montré de belles choses (comme durant toute la semaine) et mérite largement sa victoire.

  4. MarieJo 8 novembre 2009 at 20:37

    bon ya personne pour claironner la victoire de djoko ? rohhhh
    ah si pierre ! merci !

    en tous cas il revient de loin djoko, avec l’impression qu’il a frôlé la sortie sur ses 3 derniers tours, on voit qu’il manque de confiance avec la fin de premier set calamiteuse, qu’il réussi néanmoins à empocher, en partie grâce à fed qui a eu la bonté d’âme d’être tout aussi calamiteux de son côté.
    mais bon, il a réussi à passer les écueils et empoche un titre promis au maitre… rahhhh le vilain !

    on a vu des très bonnes séquences, et des trucs bien moches aussi… c’est un peu ça la fin de saison, les joueurs jouent en mode alternatif…

    ça devrait donner quand même qques bons matchs à bercy ;) miam !!!

  5. Antoine 8 novembre 2009 at 21:46

    Je m’attendais à la victoire de Djoko tout en espérant un sursaut de Fed par rapport à son niveau de jeu des demies et quarts, étant chez lui à Bâle, en finale…

    Puisque j’ai vu tous ses matches, je peux comparer et le résultat me parait clair: Federer n’a cessé de baisser tout au long de la semaine, faisant illusion jusqu’à aujourd’hui en n’ayant eu à battre que des joueurs classés 50ème ou qq chose comme cela, mais contre Djoko, même si ce dernier n’est pas à son meilleur niveau-loin de là-, Federer ne pouvait l’emporter qu’en jouant mieux, et non moins bien..

    Il n’avait pas perdu son service de la semaine; il l’a perdu quatre fois aujourd’hui..

    Il peut dire merci à Djoko de lui avoir fait cadeau de deuxième set parce que contre un bon Djoko, cela aurait fait 4 et 1 ou 4 et 2 au mieux..ce qui aurait été passablement humiliant chez lui, alors qu’à Bâle, Federer choisit la surface, les balles et tout…

    Ce match m’a rappelé la demie de Miami ou Djoko avait mal joué mais ou Federer avait réussi à jouer encore plus mal (le pire match que je l’ai vu jouer d’ailleurs). Ni l’un, ni l’autre n’a bien joué, mais Federer étant le plus mauvais, a logiquement perdu..Disons que pour lui, c’était Miami en mieux…

    Toute la semaine, il a eu en permanence une demie seconde de retard; il n’est pas en jambes et accumule donc les fautes, surtout en coup droit..et une fois que les choses de déglinguent dans le jeu, son service ne suffit plus et finit par baisser aussi, en tout cas face à un type qui sait retourner comme Djoko..

    Je ne crois pas que son manque de condition physique va se régler en trois jours et que les choses vont s’améliorer pour Federer à Bercy, tournoi autrement plus relevé que Bâle tout de même et qui surtout se joue sur une surface beaucoup plus lente qu’à Bâle ou son service ne va pas masquer très longtemps ses insuffisances. actuelles…

    Bref, je m’attends à ce que Federer dégage vite fait à Bercy et se prépare sérieusement pour le Master’s…

    • MarieJo 8 novembre 2009 at 22:16

      je pense que fed est venu à bâle un peu en pantouffles, sorti directement de son salon avant d’entrer sur le court.
      on sent que malgré l’envie de bien jouer chez lui, l’énergie et la motivation manquent un peu et que djoko avait du mal à croire qu’il passerait, il a tenté un peu comme contre step ou stan aux tours précédants, et il a eu un peu de bol.

      je ne sais pas s’il est flingué physiquement, ou mentalement, vu comment il dégoupille des matchs en faisant des séries de points à jeter dans une corbeille. mais je pense comme toi, je le vois difficilement se donner à fond pour bercy, tout comme nadal ou djoko… je les vois bien laisser murray aller au charbon.

      • Cochran 8 novembre 2009 at 23:10

        Bah on peut voir les choses de l’autre côté. Il revient de presque 2 mois sans jouer, il a besoin de retrouver du rythme et du challenge et c’est pas contre les gars face à qui il a du jouer que cela se trouve. Et contre Djoko, même à 80%, ça ne passe pas.
        J’ai également ressenti cette impression de sa part de venir jouer en pantoufles. Sans doute trompeuse, mais l’impression était de retrouver le pire du Fed 08, coup droit absent et service écran pour sauver la face. Lui qui restait sur une belle série de 27 victoires sur 29 matchs, faut-il le rappeler !
        Bref, j’espère bien qu’il va tout de même engranger quelques matchs à Paris (au minimum en 1/4) et se concentrer sur Londres où il a une belle carte à jouer au classement (comme Nadal d’ailleurs…)

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