De l’avis de tous, la finale de l’US Open 1976 entre Jimmy Connors et Björn Borg est le prélude d’un choc des titans pour la domination de la planète tennis. A l’aube de la saison 1977, l’attente est grande et le public est impatient de voir ces deux champions en découdre lors de joutes intenses en Grand chelem. Tout le monde s’accorde à dire qu’ils feront main basse sur tous les titres du Grand chelem à l’exception du dévalué Australian Open, boudé de tous. Nul ne se doutait alors que c’est à partir de ce tournoi qu’un Argentin à l’âme de poète, Guillermo Vilas, allait prendre son envol pour réaliser une des plus belles saisons de l’ère Open…
Né en 1952 à Buenos Aires, Guillermo Vilas est un gaucher talentueux doté d’une très bonne condition physique et d’un jeu très lifté quasiment identique à celui de Björn Borg. Passé professionnel en 1969, il entre en 1974 dans la cour des grands en remportant sept tournois dont le Masters (sur le gazon de Melbourne) face à Ilie Nastase (7/6 6/2 3/6 3/6 6/4). Cette excellente saison lui permet de faire son entrée dans le Top 10 (n°5), dont il sera pensionnaire fixe pendant 9 ans.
Vilas continue sa montée en puissance en 1975 et atteint pour la première fois la seconde place mondiale. Sa saison sera récompensée par cinq titres et par de très bons résultats en Grand chelem : première finale à Roland-Garros, où le tenant du titre Borg est trop fort (6/2 6/3 6/4), quarts de finale à Wimbledon (perd contre Roscoe Tanner, 6/4 5/7 6/8 6/2 6/2) et demi-finale à l’US Open, où il perd contre Manuel Orantes (4/6 1/6 6/2 7/5 6/4) lors d’un match incroyable qui l’aura vu mener 5/0 dans le quatrième set et obtenir cinq balles de match (dont deux sur son service à 5/1) !
S’il remporte bien six autres titres en 1976 et réalise de bons parcours en Majeurs (quarts à Roland-Garros et Wimbledon, demies à l’US Open), il n’en reste pas moins dans l’ombre des ogres Connors et Borg, se taillant une réputation de condamné aux places d’honneur. C’est alors qu’il prend une décision qui s’avèrera cruciale pour la suite de sa carrière : il accepte en effet la proposition d’un ancien joueur Roumain, Ion Tiriac, de devenir son mentor. Estimant que son poulain passait trop de temps sur ses poèmes et acceptait avec trop de résignation la défaite, Tiriac mit sur pied un programme implacable : 10 heures de sommeil, pas d’alcool, pas de tabac, pas de sorties, pas de poésie, rien que du tennis ! Le bilan de ces efforts ne se fera pas attendre.
La saison 1977 commença à l’Open d’Australie, déserté comme d’habitude par les meilleurs mondiaux… à l’exception d’Arthur Ashe, Roscoe Tanner et Guillermo Vilas. Bien qu’ayant fait une démonstration de puissance et de régularité tout le long du tournoi, l’Argentin s’incline en finale face à un Tanner servant le plomb : 14 aces et 20 services gagnants suffisent pour assurer à l’Américain la victoire en trois sets, 6/3 6/3 6/3.
En février, une annonce bouleverse le monde du tennis : Bjorn Borg renonce à Roland-Garros pour participer aux championnats Intervilles ! Si l’on savait déjà que Connors bouderait le tournoi parisien (suite à son expulsion en 1974, qui l’avait privé d’un possible Grand chelem calendaire, Jimbo a gardé la rancune tenace), le forfait du double vainqueur appauvrissait énormément le tableau et plongeait les organisateurs dans le désarroi. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, Guillermo Vilas sentait que son moment était finalement venu. Sur le papier, seules les têtes de série n°1 (Ilie Nastase) et n°2 (le tenant du titre Adriano Panatta) représentaient une menace sérieuse. Dans les faits, les quarts de finale seront l’écueil sur lequel s’écraseront un Nastase vieillissant (perd contre l’Américain Brian Gottfried) et un Panatta hors de forme (perd contre Raul Ramirez). La voie est libre pour Vilas qui réalise un véritable récital à la Borg, ne concédant qu’un set lors du tournoi. Impressionnant de concentration, il abat un tennis de bûcheron sans faiblesse ni fantaisie, à base d’un jeu de jambes exceptionnel et de coups de canons liftés qui usent les plus solides : 6/1 6/2 6/1 contre Stan Smith, 6/4 6/0 6/4 contre Fibak, 6/2 6/0 6/4 contre Ramirez, et enfin 6/0 6/3 6/0 contre Gottfried en finale ! L’Argentin peut exulter, il tient enfin son premier titre du Grand chelem.
Beaucoup relativisent cependant sa performance : il a certes gagné, mais en l’absence des deux patrons du circuit. Ces deux-là ont d’ailleurs remis les pendules à l’heure en se disputant une homérique finale de Wimbledon, tandis que Vilas avait lui disparu dès le troisième tour. Mais Guillermo allait bientôt démontrer à tous que sa victoire à Roland-Garros n’était pas qu’un feu de paille, entamant dès lors l’une des plus incroyables chevauchées gagnantes de l’ère Open.
Sa préparation pour l’US Open fut en effet impressionnante : 28 victoires consécutives, soit la bagatelle de cinq tournois consécutifs dans son escarcelle ! Pour le dernier US Open joué à Forest Hills, sur har-tru, tout le monde attend avec impatience l’inévitable confrontation entre Connors à Borg pour la place de n°1. Las, le choc tant attendu n’aura pas lieu, Borg devant abandonner contre Dick Stockton lors de son huitième à cause d’une blessure à l’épaule. La route est libre pour Vilas qui arrive tranquillement en finale sans rencontrer de sérieuse opposition. Il y affronte comme prévu Jimmy Connors, impressionnant lui aussi depuis le début du tournoi, et qui est prêt à tout pour conserver son titre après son échec à Wimbledon. Comme à son habitude, Connors frappe comme un sourd sur toutes les balles et remporte le premier set 6/2. Après la perte du second (6/3) il cherche à faire la décision dans le troisième. Il y mène 4/1, rate deux balles de 5/1, et se retrouve à presque tous les jeux à deux points du set. Sans s’en rendre compte, Connors est en train de se faire laminer physiquement par un Vilas infatigable, qui renvoie inlassablement des balles liftées au fond du court avec une puissance étonnante. Face à un adversaire qui accepte l’épreuve de force, l’Américain perd sa lucidité en se battant sans discernement sur toutes les balles. Connors craque dans le tie-break et encaisse un cuisant 6/0 dans le quatrième set. Humilié et sifflé par un public qu’il croyait acquis à sa cause, Jimbo quitte le court sans serrer la main de son adversaire, boycottant la remise de la coupe et la conférence de presse, trouvant au passage le temps de donner un coup de poing à un spectateur. Quant à Vilas, c’est l’apothéose : avec deux victoires et une finale en Grand chelem, ainsi qu’une série en cours de 35 victoires consécutives, il vient de prouver qu’il est le meilleur joueur de 1977… et ce même si l’ordinateur de l’ATP ne l’entend pas de cette oreille, vu que Vilas terminera l’année au second rang, derrière l’indéboulonnable Connors.
L’Argentin portera même sa série à 46 victoires consécutives, avant d’abandonner en finale du tournoi d’Aix-en-Provence pour protester contre l’utilisation par son adversaire Ilie Nastase d’une controversée raquette « spaghetti » à double cordage (bannie peu après). A la suite de cet abandon, il alignera toutefois 28 nouvelles victoires consécutives, allant jusqu’à la demi-finale du Masters face à Borg et réalisant ainsi une incroyable série de 74 victoires pour 1 défaite !
Ses statistiques en 1977 sont phénoménales :
• 3 finales en Grand chelem, dont 2 victoires ;
• 16 tournois remportés en une saison (record), sur 5 continents : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Afrique, Asie (record) ;
• 46 victoires consécutives toutes surfaces confondues (record) ;
• 53 victoires consécutives sur terre battue (record battu par Nadal) ;
• 130 matches remportés en une saison (record) pour 14 défaites ;
Suite à cette incroyable saison, une nouvelle ère semble s’instaurer avec le passage d’un duopole à un duel à trois pour la première place mondiale. Malheureusement, la fabuleuse épopée de Vilas restera sans lendemain. Björn Borg le ramène en effet brutalement à la dure réalité en lui infligeant une déculottée mémorable lors d’une finale de Roland-Garros 1978 qui tourne à la démonstration : 6/1 6/1 6/3 ! Meurtri par cette défaite, Vilas mesura l’ampleur du fossé qui le séparait de Borg. Il y aura bien ménage à trois pour la domination, mais le troisième Mousquetaire sera un autre chevelu portant un bandeau, un petit jeune à la grande gueule dont la poésie, à l’inverse de Guillermo, s’exprime par la raquette plutôt que la plume, un certain John McEnroe…
Conscient que ses chances de victoires en Grand chelem étaient bien minces tant que Borg était là, Vilas prit la seule décision rationnelle pour étoffer son palmarès en Majeurs : participer régulièrement à l’Australian Open ! Bien que dévalué, il permit à Vilas d’empocher deux autres titres du Grand chelem grâce à ses victoires en 1978 et 1979.
Après quelques années de relatif anonymat, la retraite de Borg donna des ailes à Vilas qui connut, à l’instar de Connors, un renouveau spectaculaire en 1982. Ironie du sort, si l’Américain fit cette année-là un retour rugissant à la place de n°1 qui était la sienne grâce à ses victoires à Wimbledon et l’US Open, Vilas fit lui aussi un retour à la place qui était la sienne à Roland-Garros…celle du finaliste malheureux ! Bien que favori, il s’y inclina lors d’une finale (1/6 7/6 6/0 6/4) de plus de quatre heures face à un autre Suédois, un gamin de 17 ans du nom de Mats Wilander. Comble de l’ironie, le lapin Duracell Vilas craqua physiquement, éreinté par l’incroyable travail de sape réalisé par la mobylette Wilander tout au long du match. Une bien triste fin pour ce joueur dont le tennis de bûcheron aura été aux antipodes des aspirations poétiques…
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Sacré A-Rod, toujours un bon client : http://www.youtube.com/watch?v=RDFW-unhTVg&feature=youtu.be
Dans le genre cocasse Safin était pas mal non plus
http://www.youtube.com/watch?v=T8yfHuYm_kM
« A l’aune de la saison 1977, l’attente est grande » …
Salut Robert, tu voulais pas dire « à l’auBe » plutôt ?
Étonnante anomalie cette saison 77 quand même ! Des chiffres édifiants pour le limeur de la Caroline du sud ..
Comment explique-t-on qu’il ne soit pas numéro un en fin de saison ? Beaucoup d’équivalents masters séries remportés par Jimbo ? Un rapport de points de l’époque moins avantageux pour les GC ?
Le système de l’époque est assez dur à capter, mais je tente des explications:
a) je crois que RG et l’OZ ramenaient moins de points que Wimbledon et l’USO. et le système était moins avantageux qu’aujourd’hui avec les GC.
b) Jimbo avait remporté la finale Dallas WCT ainsi que les Masters cet année-là (qui je crois ramenaient quasiment autant de points qu’un GC), tandis que pas mal des tournois remportés par Vilas ramenaient peu de points.
c) Enfin, je pense que le système prenait aussi en compte une moyenne des points rapportés au nombre des tournois joués, du style: 100 points en 2 tournois = moyenne 50, 141 sur tournois = moyenne 47
Peut-etre qu’Antoine pourra mieux éclairer notre lanterne à ce propos
Il y avait aussi je crois, un bonus en fonction du classement des adversaires battus. Donc peut-être aussi que Connors a battu, en moyenne, des adversaires mieux classés que ceux que Vilas a battus.
Roger Federer a-t-il changé le monde ? Article assez marrant sur la question : http://www.slate.fr/story/44443/roger-federer-monde
Je ne sais pas comment était établi le classement ATP à l’époque.
Il y aurait d’ailleurs un article très intéressant à écrire sur l’évolution du classement.
Il est en tout cas assez clair que si l’on appliquait le mode de classement actuel au résulats d’il y a quelques années, on n’aurait pas eu le même classement.
Sur ce forum il y a une réponse partielle concernant le système de classement: http://tt.tennis-warehouse.com/archive/index.php/t-130373.html
Il y avait bien un système de moyenne: nombre de points/tournois joués, d’où pour 1977:
1. Connors 897 points/ 15 tournois/ moyenne 59.80
2. Vilas 1610 points/ 28 tournois/ moyenne 57.50
3. Borg 906 points/ 17 tournois/ moyenne 53.29
4. Gerulaitus 762 points/ 15 tournois/ moyenne 50.80
5. Gottfried 1215 points/ 26 tournois/ moyenne 46.73
6. Dibbs 848 points/ 27 tournois/ moyenne 31.41
7. Orantes 671 points/ 22 tournois/ moyenne 30.50
8. Ramirez 692 points/ 25 tournois/ moyenne 27.68
9. Nastase 393 points/ 15 tournois/ moyenne 26.20
10. Stockton 579 points/ 23 tournois/ moyenne 25.17