1977, le rouleau-compresseur Vilas

By  | 30 septembre 2011 | Filed under: Légendes

De l’avis de tous, la fin­ale de l’US Open 1976 entre Jimmy Con­nors et Björn Borg est le prélude d’un choc des titans pour la domina­tion de la planète ten­nis. A l’aube de la saison 1977, l’at­tente est gran­de et le pub­lic est im­patient de voir ces deux champ­ions en découd­re lors de joutes in­ten­ses en Grand chelem. Tout le monde s’ac­corde à dire qu’ils feront main basse sur tous les tit­res du Grand chelem à l’ex­cep­tion du dévalué Australian Open, boudé de tous. Nul ne se doutait alors que c’est à par­tir de ce tour­noi qu’un Ar­gentin à l’âme de poète, Guil­lermo Vilas, al­lait pre­ndre son envol pour réalis­er une des plus be­lles saisons de l’ère Open…

Né en 1952 à Buenos Aires, Guil­lermo Vilas est un gauch­er talen­tueux doté d’une très bonne con­di­tion physique et d’un jeu très lifté quasi­ment iden­tique à celui de Björn Borg. Passé pro­fes­sion­nel en 1969, il entre en 1974 dans la cour des grands en re­mpor­tant sept tour­nois dont le Mast­ers (sur le gazon de Mel­bour­ne) face à Ilie Nas­tase (7/6 6/2 3/6 3/6 6/4). Cette ex­cel­lente saison lui per­met de faire son entrée dans le Top 10 (n°5), dont il sera pen­sion­naire fixe pen­dant 9 ans.

Vilas con­tinue sa montée en puis­sance en 1975 et at­teint pour la première fois la secon­de place mon­diale. Sa saison sera récom­pensée par cinq tit­res et par de très bons résul­tats en Grand chelem : première fin­ale à Roland-Garros, où le tenant du titre Borg est trop fort (6/2 6/3 6/4), quarts de fin­ale à Wimbledon (perd con­tre Ros­coe Tann­er, 6/4 5/7 6/8 6/2 6/2) et demi-finale à l’US Open, où il perd con­tre Manu­el Oran­tes (4/6 1/6 6/2 7/5 6/4) lors d’un match in­croy­able qui l’aura vu mener 5/0 dans le quat­rième set et ob­tenir cinq bal­les de match (dont deux sur son ser­vice à 5/1) !

S’il re­mpor­te bien six aut­res tit­res en 1976 et réalise de bons par­cours en Majeurs (quarts à Roland-Garros et Wimbledon, de­m­ies à l’US Open), il n’en reste pas moins dans l’ombre des ogres Con­nors et Borg, se tail­lant une réputa­tion de con­damné aux places d’hon­neur. C’est alors qu’il prend une décis­ion qui s’avèrera cruciale pour la suite de sa carrière : il ac­cepte en effet la pro­posi­tion d’un an­ci­en joueur Roumain, Ion Tiriac, de de­venir son men­tor. Es­timant que son poulain pas­sait trop de temps sur ses poèmes et ac­ceptait avec trop de résig­na­tion la défaite, Tiriac mit sur pied un pro­gram­me im­plac­able : 10 heures de som­meil, pas d’al­cool, pas de tabac, pas de sort­ies, pas de poésie, rien que du ten­nis ! Le bilan de ces ef­forts ne se fera pas at­tendre.

La saison 1977 com­men­ça à l’Open d’Australie, déserté comme d’habitude par les meil­leurs mon­diaux… à l’ex­cep­tion d’Arthur Ashe, Ros­coe Tann­er et Guil­lermo Vilas. Bien qu’ayant fait une démonstra­tion de puis­sance et de régularité tout le long du tour­noi, l’Ar­gentin s’incline en fin­ale face à un Tann­er ser­vant le plomb : 14 aces et 20 ser­vices gag­nants suf­fisent pour as­sur­er à l’Américain la vic­toire en trois sets, 6/3 6/3 6/3.

En février, une an­non­ce boulever­se le monde du ten­nis : Bjorn Borg re­non­ce à Roland-Garros pour par­ticip­er aux cham­pion­nats In­ter­villes ! Si l’on savait déjà que Con­nors bouderait le tour­noi parisi­en (suite à son ex­puls­ion en 1974, qui l’avait privé d’un pos­sible Grand chelem calen­daire, Jimbo a gardé la ran­cune tenace), le for­fait du doub­le vain­queur ap­pauv­rissait énormément le tab­leau et plon­geait les or­ganisateurs dans le désar­roi. Le mal­heur des uns faisant le bon­heur des aut­res, Guil­lermo Vilas sen­tait que son mo­ment était fin­ale­ment venu. Sur le papi­er, seules les têtes de série n°1 (Ilie Nas­tase) et n°2 (le tenant du titre Ad­riano Panat­ta) re­présen­taient une menace sérieuse. Dans les faits, les quarts de fin­ale seront l’écueil sur lequel s’écraseront un Nas­tase vieil­lissant (perd con­tre l’Américain Brian Gottfried) et un Panat­ta hors de forme (perd con­tre Raul Ramirez). La voie est libre pour Vilas qui réalise un vérit­able récital à la Borg, ne concédant qu’un set lors du tour­noi. Im­pres­sion­nant de con­centra­tion, il abat un ten­nis de bûcheron sans faib­lesse ni fan­taisie, à base d’un jeu de jam­bes ex­cep­tion­nel et de coups de canons liftés qui usent les plus sol­ides : 6/1 6/2 6/1 con­tre Stan Smith, 6/4 6/0 6/4 con­tre Fibak, 6/2 6/0 6/4 con­tre Ramirez, et enfin 6/0 6/3 6/0 con­tre Gottfried en fin­ale ! L’Ar­gentin peut ex­ult­er, il tient enfin son pre­mi­er titre du Grand chelem.

Be­aucoup re­lativisent cepen­dant sa per­for­mance : il a cer­tes gagné, mais en l’abs­ence des deux pat­rons du cir­cuit. Ces deux-là ont d’ail­leurs remis les pen­dules à l’heure en se dis­putant une homérique fin­ale de Wimbledon, tan­dis que Vilas avait lui dis­paru dès le troisiè­me tour. Mais Guil­lermo al­lait bientôt démontr­er à tous que sa vic­toire à Roland-Garros n’était pas qu’un feu de pail­le, en­tamant dès lors l’une des plus in­croy­ables chevauchées gag­nantes de l’ère Open.

Sa prépara­tion pour l’US Open fut en effet im­pres­sion­nante : 28 vic­toires con­sécutives, soit la bagatel­le de cinq tour­nois con­sécutifs dans son es­carcel­le ! Pour le de­rni­er US Open joué à Forest Hills, sur har-tru, tout le monde at­tend avec im­pati­ence l’inévit­able con­fron­ta­tion entre Con­nors à Borg pour la place de n°1. Las, le choc tant at­tendu n’aura pas lieu, Borg de­vant ab­an­donn­er con­tre Dick Stockton lors de son huitième à cause d’une bles­sure à l’épaule. La route est libre pour Vilas qui ar­rive tran­quil­le­ment en fin­ale sans re­ncontr­er de sérieuse op­posi­tion. Il y affron­te comme prévu Jimmy Con­nors, im­pres­sion­nant lui aussi de­puis le début du tour­noi, et qui est prêt à tout pour con­serv­er son titre après son échec à Wimbledon. Comme à son habitude, Con­nors frap­pe comme un sourd sur toutes les bal­les et re­mpor­te le pre­mi­er set 6/2. Après la perte du second (6/3) il cherche à faire la décis­ion dans le troisiè­me. Il y mène 4/1, rate deux bal­les de 5/1, et se retro­uve à pre­sque tous les jeux à deux points du set. Sans s’en re­ndre com­pte, Con­nors est en train de se faire lamin­er physique­ment par un Vilas in­fatig­able, qui re­nvoie in­las­sable­ment des bal­les liftées au fond du court avec une puis­sance éton­nante. Face à un ad­versaire qui ac­cepte l’épreuve de force, l’Américain perd sa lucidité en se bat­tant sans dis­cer­ne­ment sur toutes les bal­les. Con­nors craque dans le tie-break et en­cais­se un cuisant 6/0 dans le quat­rième set. Humilié et sifflé par un pub­lic qu’il croyait ac­quis à sa cause, Jimbo quit­te le court sans serr­er la main de son ad­versaire, boycot­tant la re­m­ise de la coupe et la conférence de pre­sse, trouvant au pas­sage le temps de donn­er un coup de poing à un spec­tateur. Quant à Vilas, c’est l’apothéose : avec deux vic­toires et une fin­ale en Grand chelem, ainsi qu’une série en cours de 35 vic­toires con­sécutives, il vient de pro­uv­er qu’il est le meil­leur joueur de 1977… et ce même si l’or­dinateur de l’ATP ne l’en­tend pas de cette oreil­le, vu que Vilas ter­minera l’année au second rang, derrière l’indéboulonn­able Con­nors.

L’Ar­gentin por­tera même sa série à 46 vic­toires con­sécutives, avant d’aban­donn­er en fin­ale du tour­noi d’Aix-en-Provence pour pro­test­er con­tre l’utilisa­tion par son ad­versaire Ilie Nas­tase d’une con­troversée raquet­te « spag­hetti » à doub­le cor­dage (ban­nie peu après). A la suite de cet ab­an­don, il al­ig­nera toutefois 28 nouvel­les vic­toires con­sécutives, al­lant jusqu’à la demi-finale du Mast­ers face à Borg et réalisant ainsi une in­croy­able série de 74 vic­toires pour 1 défaite !

Ses statis­tiques en 1977 sont phénoménales :

• 3 fin­ales en Grand chelem, dont 2 vic­toires ;

• 16 tour­nois re­mportés en une saison (re­cord), sur 5 con­tinents : Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Af­rique, Asie (re­cord) ;

• 46 vic­toires con­sécutives toutes sur­faces con­fon­dues (re­cord) ;

• 53 vic­toires con­sécutives sur terre bat­tue (re­cord battu par Nadal) ;

• 130 matches re­mportés en une saison (re­cord) pour 14 défaites ;

Suite à cette in­croy­able saison, une nouvel­le ère semble s’instaur­er avec le pas­sage d’un duopole à un duel à trois pour la première place mon­diale. Mal­heureuse­ment, la fabuleuse épopée de Vilas re­stera sans len­demain. Björn Borg le ramène en effet brutale­ment à la dure réalité en lui in­fligeant une déculottée mémor­able lors d’une fin­ale de Roland-Garros 1978 qui tour­ne à la démonstra­tion : 6/1 6/1 6/3 ! Meurtri par cette défaite, Vilas mesura l’ampleur du fossé qui le séparait de Borg. Il y aura bien ménage à trois pour la domina­tion, mais le troisiè­me Mous­quetaire sera un autre chevelu por­tant un ban­deau, un petit jeune à la gran­de gueule dont la poésie, à l’in­verse de Guil­lermo, s’exprime par la raquet­te plutôt que la plume, un cer­tain John McEn­roe…

Con­scient que ses chan­ces de vic­toires en Grand chelem étaient bien min­ces tant que Borg était là, Vilas prit la seule décis­ion ration­nelle pour étoff­er son pal­marès en Majeurs : par­ticip­er réguliè­re­ment à l’Australian Open ! Bien que dévalué, il per­mit à Vilas d’em­poch­er deux aut­res tit­res du Grand chelem grâce à ses vic­toires en 1978 et 1979.

Après quel­ques années de re­latif an­onymat, la re­traite de Borg donna des ailes à Vilas qui con­nut, à l’instar de Con­nors, un re­nouveau spec­taculaire en 1982. Ir­onie du sort, si l’Américain fit cette année-là un re­tour rugis­sant à la place de n°1 qui était la sien­ne grâce à ses vic­toires à Wimbledon et l’US Open, Vilas fit lui aussi un re­tour à la place qui était la sien­ne à Roland-Garros…celle du fin­alis­te mal­heureux ! Bien que favori, il s’y in­clina lors d’une fin­ale (1/6 7/6 6/0 6/4) de plus de quat­re heures face à un autre Suédois, un gamin de 17 ans du nom de Mats Wiland­er. Com­ble de l’ironie, le lapin Duracell Vilas craqua physique­ment, éreinté par l’incroy­able travail de sape réalisé par la mobylet­te Wiland­er tout au long du match. Une bien tri­ste fin pour ce joueur dont le ten­nis de bûcheron aura été aux anti­podes des as­pira­tions poé­tiques…

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75 Responses to 1977, le rouleau-compresseur Vilas

  1. William 3 octobre 2011 at 21:29

    Sacré A-Rod, toujours un bon client : http://www.youtube.com/watch?v=RDFW-unhTVg&feature=youtu.be

  2. Alex 4 octobre 2011 at 12:08

    « A l’aune de la saison 1977, l’attente est grande » …

    Salut Robert, tu voulais pas dire « à l’auBe » plutôt ?

  3. Alex 4 octobre 2011 at 12:15

    Étonnante anomalie cette saison 77 quand même ! Des chiffres édifiants pour le limeur de la Caroline du sud ..

    Comment explique-t-on qu’il ne soit pas numéro un en fin de saison ? Beaucoup d’équivalents masters séries remportés par Jimbo ? Un rapport de points de l’époque moins avantageux pour les GC ?

    • Robert 4 octobre 2011 at 14:19

      Le système de l’époque est assez dur à capter, mais je tente des explications:

      a) je crois que RG et l’OZ ramenaient moins de points que Wimbledon et l’USO. et le système était moins avantageux qu’aujourd’hui avec les GC.

      b) Jimbo avait remporté la finale Dallas WCT ainsi que les Masters cet année-là (qui je crois ramenaient quasiment autant de points qu’un GC), tandis que pas mal des tournois remportés par Vilas ramenaient peu de points.

      c) Enfin, je pense que le système prenait aussi en compte une moyenne des points rapportés au nombre des tournois joués, du style: 100 points en 2 tournois = moyenne 50, 141 sur tournois = moyenne 47

      Peut-etre qu’Antoine pourra mieux éclairer notre lanterne à ce propos

    • Colin 5 octobre 2011 at 00:03

      Il y avait aussi je crois, un bonus en fonction du classement des adversaires battus. Donc peut-être aussi que Connors a battu, en moyenne, des adversaires mieux classés que ceux que Vilas a battus.

  4. Cochran 5 octobre 2011 at 12:07

    Roger Federer a-t-il changé le monde ? Article assez marrant sur la question : http://www.slate.fr/story/44443/roger-federer-monde

  5. Antoine 5 octobre 2011 at 13:12

    Je ne sais pas comment était établi le classement ATP à l’époque.

    Il y aurait d’ailleurs un article très intéressant à écrire sur l’évolution du classement.

    Il est en tout cas assez clair que si l’on appliquait le mode de classement actuel au résulats d’il y a quelques années, on n’aurait pas eu le même classement.

  6. Robert 5 octobre 2011 at 13:42

    Sur ce forum il y a une réponse partielle concernant le système de classement: http://tt.tennis-warehouse.com/archive/index.php/t-130373.html

    Il y avait bien un système de moyenne: nombre de points/tournois joués, d’où pour 1977:
    1. Connors 897 points/ 15 tournois/ moyenne 59.80
    2. Vilas 1610 points/ 28 tournois/ moyenne 57.50
    3. Borg 906 points/ 17 tournois/ moyenne 53.29
    4. Gerulaitus 762 points/ 15 tournois/ moyenne 50.80
    5. Gottfried 1215 points/ 26 tournois/ moyenne 46.73
    6. Dibbs 848 points/ 27 tournois/ moyenne 31.41
    7. Orantes 671 points/ 22 tournois/ moyenne 30.50
    8. Ramirez 692 points/ 25 tournois/ moyenne 27.68
    9. Nastase 393 points/ 15 tournois/ moyenne 26.20
    10. Stockton 579 points/ 23 tournois/ moyenne 25.17

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